Archives de catégorie : Rhétorique Sémitique

Intertextualité du passage 33-44 de la sourate Yasin

Structure du passage 33-44 :

Le texte de Lactance dont il est question http://remacle.org/bloodwolf/eglise/lactance/instit2.htm

Geneviève Gobillot cite Lactance comme « un premier seuil herméneutique », participant d’« un paysage conceptuel, sur lequel ses propres enseignements [nb : du Coran] prennent un relief qui en éclaire la plupart du temps de façon décisive les tenants et les aboutissants. »[1] Dans le cinquième chapitre du second livre des « Institutions divines » [2], nous remarquons un même triptyque terre / astres / mer que les psaumes et notre passage. Puis exactement les termes de la partie centrale : les astres, le jour et la nuit, et le décret divin : « Dieu a placé les astres dans le ciel, et leur a assigné la route qu’ils tiennent » et pour finir « il fait succéder tour à tour le jour à la nuit, dont l’un est destiné au travail et l’autre au repos ». Les thèmes des deux propositions de cette dernière sont repris tels quels dans le Coran[3]. Comme les Psaumes, desquels il reprend peut-être les exemples, Lactance insiste sur le statut créé des choses : contra des choses existantes par elles-mêmes, il parle d’ouvrier et d’ouvrage. En particulier les objets célestes sur lesquels il appuie sa démonstration.

La question porte essentiellement sur leur mouvement et sur leur utilité pour l’homme. Pour les stoïciens ceux-ci sont preuve d’une volonté intrinsèque, si les choses sont réglées et qu’elles deviennent utiles, elles ont une intelligence. Ils concluent en conséquence à la divinité des objets celestes. Partant du principe d’une divinité unique, Lactance reproche aux stoïciens d’observer les choses sans concevoir leur origine. Il oppose les animaux, qui ont également une volonté. Et leur réfute immédiatement le statut animal : pour lui l’intelligence n’a résidé que dans le déploiement des astres. Sur le modèle d’Archimède construisant ses représentations du système solaire, il explique le mouvement et l’utilité par l’ordre divin qui aurait créé puis ordonnancé les objets celestes dès le départ. A finalité de l’homme. Deux modèles sont donc proposés. Le premier est la divinité des objets celestes, qui déciderait d’eux-mêmes leurs actions et effets, le second celle d’une divinité ayant organisé l’ensemble. Lactance trace ainsi un lien qui part de l’origine de toute chose vers la vie humaine. C’est un raisonnement à visé éthologique, d’explication des phénomènes, mais dont la réponse est donnée a priori : quand Lactance dit « le mouvement des astres n’est donc pas volontaire, mais nécessaire, parce qu’ils suivent la loi qui leur est imposée », c’est une tautologie : la conclusion est elle-même la preuve.

Le texte coranique n’est pas une simple louange dithyrambique comme les Psaumes. Il propose comme Lactance une réflexion sur les rapports entre les astres et leurs effets, et en propose une réarticulation, portée par la structure du texte. La première partie de notre passage part de la « terre morte », ce qui exclut d’emblée d’en faire une divinité. Dieu la fait vivre et en fait sortir des fruits : la vie devient un mouvement, conséquence d’une impulsion première. Si l’impulsion est divine, le mouvement est aussi le fait de la terre elle-même (parallèle frappant entre 33c « Nous avons sorti d’elle du grain » et 36b « ce que fait pousser la terre »). Ce mouvement produit les fruits dont mangent les hommes. Il y a alors une volonté précise de Dieu vers l’homme, dont le travail suivra (35c « de ce qu’a fait ses mains »), prolongation par l’homme du travail divin, reçu de la nature[4]. L’interjection “Ne remercia-t-il pas ?” suit directement ce prolongement, en ce que l’homme hérite, jusque dans son travail, d’un résultat qui ne vient pas de lui-même. D’où probablement l’ambivalence laissée entre deux sens possibles : qu’il mange « de ce qu’a fait ses mains » ou « de ce que n’a pas fait ses mains ». Le texte loue alors Dieu comme origine de tout ce mouvement qui précède l’action humaine. Pour le Coran, il n’y a pas de divinité dans les choses mortes, ni dans le fruit produit de la nature, mais un Dieu à l’origine du mouvement qui va de la terre morte jusqu’au fruit qui nourrit l’homme.

Le texte reprend ensuite l’alternance du jour et de la nuit. Le mouvement des astres, origine de cet effet est traitée dans le morceau central, avec les phases de la lune, autre exemple de la nuit. Au cœur de ce morceau et de tout le passage, le rôle divin dans la mise en œuvre du mouvement, dont le reste est conséquence. Enfin dans le dernier morceau, l’effet (le jour et la nuit) et la cause (les astres) tournoient dans un même mouvement d’ensemble, ramené au terme SBH signifiant également voguer et louange, rappelant la gloire du créateur du morceau précédent. A l’opposé de Lactance, le Coran ne cherche pas à donner un cours d’astronomie, en effet, il est tout à fait possible de lire une vision égyptienne primaire des astres dans des chaloupes (foulk) et d’un lever du soleil en un point précis de l’horizon, comme il est possible pour un moderne d’y lire des orbites différentes, qui ne se croisent pas. Le propos n’est pas là. Ce qui est remarquable c’est l’articulation partant des effets observés par l’homme (l’obscurité de la nuit) aux extrémités de la structure, pour remonter progressivement par le mouvement des astres à leur cause première, le décret divin comme actus primus au centre. Pour revenir finalement à l’articulation de l’ensemble, louange des mouvements de l’univers à leur créateur (SBH), à l’opposé de l’obscurité première, image du rejet du prophète[5]

Dans la troisième partie, le Coran reprend de Lactance l’exemple de l’homme appelant au secours dans la tempête[6], mélangé ici avec l’histoire de Noé. L’irruption de la possibilité de la mort et du déluge met en valeur le support divin constant à la vie humaine matérialisé par le bateau (reprise de foulk), que l’homme ici aussi prend en charge à son tour. En proposant la possibilité de son inversion, « si Nous voulons, Nous vous noyons », le texte montre encore une téléologie divine dirigée vers l’homme, rappelant, par sa menace planant sur les sociétés humaines, thème récurrent de la sourate, l’importance de la branche sur laquelle il est assis.

Le Coran reprend les enjeux évoqués dans les institutions divines. Pour expliquer les mouvements célestes et leurs effets, jusqu’à la vie qui sort de terre, le texte opère une synthèse entre les positions de Lucilius et Lactance. Comme chez Lactance, l’objet est dépourvu de toute divinité, cependant, le texte ne part pas d’une existence de Dieu a priori qui suffirait à expliquer l’inexplicable. Le Coran reprend la quête de Lucilius, mais propose une autre démarche : comme pour Abraham s’interrogeant sur la divinité des étoiles, les choses ne sont pas des divinités en elle-même, la divinité ne peut en être que leur origine[7]. Dieu c’est Le Créateur des astres pour Abraham, et ici l’origine de leur mise en mouvement. Le Coran part des effets (l’alternance du jours et de la nuit), remonte aux cause (les mouvements des astres). Toute divinité ou téléologie est alors repoussée hors de l’univers réel jusqu’à l’actus primus, décret de Dieu. Celui-ci poursuit pourtant son action par l’émergence continue de la vie, action allégorisée ailleurs dans le texte par la descente de l’eau[8]. Cette théologie, toujours anthropocentrique, est néanmoins plus fine en ce qu’elle n’articule plus grossièrement le monde vers l’homme, mais reprend comme chez le philosophe, la remontée déductive des phénomènes observé par l’homme, qu’elle repousse à une cause première. Le texte coranique enfin la superpose à une éthique : il y a pour l’homme dans l’observation des phénomènes naturels une invitation à remercier pour ce qu’il a reçu de la nature et, ayant trouvé Dieu comme origine de toute chose, à prolonger le travail, tout en s’inquiétant des conséquences de son comportement. Le texte coranique propose un monothéisme strict articulant l’observation des phénomènes naturels à la constitution d’une éthique. Renvoyant discrètement aux thèmes de la sourate, la réception du messager, le partage des richesses reçues de la nature et la possibilité d’une fin terrible.


[1] G. Gobillot, « Des textes Pseudo Clementins à la mystique Juive des premiers siècles et du Sinaï à Ma’rib », dans Carlos A.Segovia et Basil Lourié (éds), « The Coming of the Comforter:When, Where, and to Whom ? », Gorgias Press, 2012, p.8 sqq.

[2] Lactance, rhéteur latin, mort en 325. Une édition bilingue latin français des Institutions divines est disponible sur  http://remacle.org/bloodwolf/eglise/lactance/instit2.htm (second livre)

[3] Par exemple Ya sin v.37, al-Naba v.9-10.

[4] L’idée absente du second livre de Lactance, se trouve peut-être déjà dans la Genèse : « 1,15 L’Éternel Dieu prit donc l’homme et le plaça dans le jardin d’Éden, pour le cultiver et pour le garder. »

[5] Voir par exemple Cor 33 :41-46 qui pose le prophète comme une lampe éclairante, sirājan munīran. Et la discussion sur l’utilisation de la lumière pour l’homme dans un cadre monothéiste par Emran El-Badawi, The Qur’an and the Aramaic Gospel Traditions, New York; London: Routledge Press, 2013; p. 154-157.

[6] Citons ici G. Gobillot qui retrouve les notions communes à Lactance et au Coran de cet exemple :  « Coran 17, 67 : « Quand un malheur vous touche en mer, ceux que vous invoquez s’égarent, sauf lui » à mettre en parallèle avec (Institutions Divines, II, I, 8–12) : « Cela (reconnaître et proclamer un dieu suprême) ils ne le font pas quand leur situation est prospère ; mais pour peu que quelque pesante difficulté les accable, les voilà qui se souviennent de Dieu. Si quelqu’un, en mer, est ballotté par un vent furieux, c’est lui (Dieu) qu’il invoque ». A ce propos le Coran, comme les Institutions Divines, met en garde contre une autre tendance spontanée de la nature humaine : la faculté d’oublier : « Lorsqu’il (Dieu) vous a sauvés et ramenés à terre, vous vous détournez. L’homme est très ingrat » Quant à Dieu, qu’ils avaient imploré au milieu de leurs besoins, ils n’ont même pas une parole pour le remercier ». » G. Gobillot, op.cit. p. 6.

[7] Coran 6:75-81. En particulier le saut théorique, non expliqué, fait par Abraham dans le verset 79 : « Je désavoue ce que vous associez à Dieu et je tourne mon visage en croyant originel vers Celui qui a créé les cieux et la terre ».

[8] Par exemple Coran 16:10-11 : « C’est Lui qui, du ciel, a fait descendre de l’eau qui vous sert de boisson et grâce à la quelle poussent des plantes dont vous nourrissez vos troupeaux. D’elle, Il fait pousser pour vous, les cultures, les oliviers, les palmiers, les vignes et aussi toutes sortes de fruits. Voilà bien là une preuve pour des gens qui réfléchissent. »

Hanifan – Partie 1

Première partie : Al Baqarah et Al Imran

Téléchargement en PDF ci dessous. Merci de mentionner l’adresse du site. 

Les termes Hanifan et Oummyyin dans leur contexte

 

Nous suivrons volontairement l’ordre du Livre et étudierons d’abord le contexte conjoint de deux occurrences dans la sourate Al Baqarah, puis un court passage de la sourate Al Imran, avant d’étudier toute une séquence de cette dernière contenant les 3 dernières occurrences. Le contexte reste tout au long de cette partie celui du débat avec les peuples du Livre, et nous retrouverons des thèmes récurrents, reformulés plusieurs fois, selon le style particulier du Coran.

 


2:135 قُلْ بَلْ مِلَّةَ إِبْرَاهِيمَ حَنِيفًا


3:67 مَا كَانَ إِبْرَاهِيمُ يَهُودِيًّا وَلَا نَصْرَانِيًّا وَلَٰكِنْ كَانَ حَنِيفًا مُسْلِمًا


3:95 قُلْ صَدَقَ اللَّهُ فَاتَّبِعُوا مِلَّةَ إِبْرَاهِيمَ حَنِيفًا


Avec


2:78 وَمِنْهُمْ أُمِّيُّونَ لَا يَعْلَمُونَ الْكِتَابَ إِلَّا أَمَانِيَّ


3:20 وَقُلْ لِلَّذِينَ أُوتُوا الْكِتَابَ وَالْأُمِّيِّينَ أَأَسْلَمْتُمْ


3:75 ذَٰلِكَ بِأَنَّهُمْ قَالُوا لَيْسَ عَلَيْنَا فِي الْأُمِّيِّينَ سَبِيلٌ


Sourate Al Baqarah
 

 

 

(2:78) ummiyyūna

 

La première occurrence du terme, dans la Sourate Al-Baqara. Nous présentons ici l’analyse de la partie auquel il appartient. Nous reviendrons dans la quatrième partie sur le parallèle de cette occurrence avec celle de la sourate Al Jum’ua. 

Nous avons là une partie qui traite des rapports des rapports d’un groupe avec l’écriture[1], rapport principalement articulé par les verbes croire et savoir. Cette partie est divisée en trois morceaux, de façon concentrique. Le morceau central (à l’intérieur de la sous-partie centrale) exprime la méfiance du groupe[2] à partager avec les musulmans leur connaissance de l’écriture, qu’ils craignent être retournée contre eux par la suite. Sa construction (« quand ils rencontrent … ») rappelle le même schéma au début de la sourate. Les morceaux externes divisent le groupe en deux ensembles distincts, selon leur stratégie pour éviter de reconnaitre le prophète : le premier morceau traite « d’un parti parmi eux » qui connaissent l’écriture mais la déforment, le dernier pose le reste opposé : « parmi eux ²Oummyouna » qui n’en ont qu’une connaissance approximative, qui plus est déformée par leur désir, qui imaginent l’Ecriture sans la connaitre.  

[1] Il faudrait attendre l’analyse complète de la sourate pour avoir plus de visibilité sur le groupe mentionné ici par le pronom « eux ». Les fils d’Israël sont le sujet de ce qui précède, il pourrait donc s’agir des juifs de l’époque du prophète, ou bien de l’ensemble des gens du livre qui ne reconnaissent pas le prophète, le groupe serait alors un ensemble opposé à ceux mentionnés dans le verset 62.

On observe que les deux morceaux externes sont construits de manière semblable, bien que le premier soit plus développé : les trois segments du premier correspondent aux trois membres du second : 75a-b et 78a déterminent deux groupes « parmi eux », 75c-d et 78b déterminent le rapport de chaque groupe à l’Ecriture, 75e et 78c marquent la différence entre les deux : les uns savent, les autres ne font que supposer. Le texte présente deux groupes du même ensemble dans deux morceaux d’une construction semblable. Cela permet au lecteur (ou à l’écoutant) de pouvoir faire le lien entre les deux groupes, malgré la digression centrale qui explique l’enjeu, et de saisir intuitivement le lien entre les deux (un rapport problématique au texte) et la différence constitutive (la falsification ou l’ignorance).

 

La construction rhétorique, forme complexe de syntaxe, permet ici la construction d’un système descriptif. Les 3 groupes de la structure, révélés par le parallélisme, construisent une présentation précise et ordonnée du propos. A la lecture, ils vont nous aider à mieux préciser le réseau sémantique qui encadre le terme qui nous intéresse. Dans le cadre restreint de cette partie, le terme « ²Oummyoun » est pris dans deux symétries, à l’intérieur de son morceau et entre les deux morceaux descriptifs.

 

Le premier entre les deux membres 78a et 78b : la caractéristique de « ²Oummyoun » est de « ne pas connaitre le livre ». C’est partiellement cohérent avec l’interprétation traditionnelle du sens comme « ignorants », mais rapportée spécifiquement à une ignorance religieuse : celle du livre de la parole divine. En l’occurrence ignorance de la Bible, ou peut-être simplement de la Torah qui est nommée un peu plus haut dans la sourate.

 

L’autre parallèle est celui entre les morceaux, plus précisément entre les membres 75a-b et 78a qui présentent les deux ensembles au sein du groupe qui refuse « la parole d’Allah ». L’ensemble et les partis sont indiqués par l’expression « parmi eux ». D’abord « un parti parmi eux », singulier qui détermine un groupe constitué, ceux qui connaissent la parole. A l’opposé, le pluriel de « parmi eux ²Oummyoun », ensemble plus large, caractérisés par l’ignorance du Livre. A l’opposé d’un « parti » bien déterminé, il y a des individus, ou des groupes d’individus. « Ignorants », dans le sens « ignorants du Livre » est toujours possible. Mais on peut s’interroger sur le lien possible entre « faryqoun » et « ²Oummyoun », d’autant plus qu’il y a un lien possible entre « parti » et la racine « ²M », autour du sens de communauté. Existe-t-il un sens commun à « ignorant » et « communauté » qui puisse définir « ²Oummyoun » ? Qui donnerait à peu près : « les communautés qui ignorent le livre » ?

 

M. Hamidullah propose de reprendre pour l’occurrence suivante (3.20) le terme de « gentils », qui traduit dans la Bible, ceux qui ne sont pas juifs. Il fait sens ici dans les deux parallèles : « il y a un parti parmi eux qui entendent la parole d’Allah puis la falsifient (…) et parmi eux des gentils, qui ne connaissent pas Le Livre si ce n’est selon leur souhait ». Cette distinction parmi ceux qui rejettent le prophète entre ceux qui falsifient et ceux qui imaginent, opère une distinction critique précise entre plusieurs groupes : les juifs qui falsifient la Torah et les chrétiens qui l’ignorent ; parmi les chrétiens entre ceux qui suivent la Torah et les chrétiens « de Paul » parmi les nations qui ne connaissent pas ou prou l’Ancien Testament. Les deux sens, ignorants et gentils, sont possibles ici et rentrent dans le contexte. Cependant l’utilisation du terme gentil est plus précise et montrerait une distinction fine opérée par le Coran parmi les gens du livre selon leur rapport au texte biblique. Nous garderons comme première approximation l’appellation « gentils », pour ceux qui ne connaissent pas le Livre.

 

Contexte de la sourate Al Baqarah, entre 2.75 (²oummyyin) et 2.135 (ḥanifan).

 

Nous n’allons pas dérouler ici toute l’analyse rhétorique du contexte des deux termes, comme nous le ferons plus bas pour la sourate al Imran, où trois occurrences des deux termes sont pris ensembles dans une même séquence. Nous tenons cependant à noter que le contexte de ces termes est dès le début celui du débat avec les peuples du Livre, une critique de la religion. Nous invitons le lecteur à lire tout ce passage de son côté à l’occasion, pour bien saisir ce qui est déployé dans la sourate al Baqarah en termes de contenu et dont des aspects seront repris ou détaillés par la suite. Nous tenons cependant à noter quelques versets qui résonnent particulièrement avec notre étude, notamment avec l’analyse qui suit de la sourate al Imran. La traduction est celle de M. Hamidullah, sauf pour les termes en gras.

 

Il y a d’abord la réfutation de la prétention du peuple à Livre à avoir l’exclusivité du salut : « 94 Dis : « Si l'Ultime demeure auprès d'Allah est pour vous seuls, à l'exclusion des autres gens, souhaitez donc la mort si vous êtes véridiques ! ». (…) 111 Et ils ont dit : « Nul n'entrera au Paradis que Juifs ou Chrétiens ». » Prétention à laquelle le Coran répond que le salut est en Dieu uniquement, donc pour tous ceux qui se dirigent vers Lui : « 112 Non, mais quiconque dirige sa face vers Allah (أَسْلَمَ وَجْهَهُ لِلَّهِ) tout en faisant le bien, aura sa rétribution auprès de son Seigneur. Pour eux, nulle crainte, et ils ne seront point attristés. »

 

Le même raisonnement est appliqué à l’écriture, quand les peuples du Livre refusent la possibilité d’un messager envoyé à d’autres peuples (100, 105), alors qu’eux-mêmes se détruisent entre eux, empêchent de prononcer Son Nom et détruisent les lieux de culte (113, 114). Encore une fois, Dieu est donné comme seule direction et source de salut : « 105 Allah réserve à qui Il veut sa Miséricorde », ainsi que dans le verset 115, qui conclut le sujet : « 115 A Allah seul appartiennent l'Est et l'Ouest. Où que vous vous tourniez, la Face d'Allah est donc là, car Allah a la grâce immense ; Il est Omniscient. » Même raisonnement encore en 119-120, dont la solution est le texte envoyé par Dieu, pour ceux qui le récitent : « 121 Ceux à qui Nous avons donné le Livre, qui le récitent (تَلَىٰ) comme il se doit, ceux-là y croient. Et ceux qui n'y croient pas sont les perdants. ». Notons déjà que « تَلَىٰ » induit une retranscription dans le réel d’une parole de Dieu.

 

Raymond Farrin propose une composition de la sourate Al Baqarah en 7 sections concentriques, nos occurrences se trouveraient dans deux sections qui répondent aux argumentations des juifs et des chrétiens : B (40-112) relative à l’histoire fils d’Israël et C (113-141) à celle d’Abraham. Elles prépareraient des séquences semblables adressées aux musulmans, C’ (153-177) qui prépare le pèlerinage à la Mecque et B’ (178,242) la loi délivrée aux musulmans. Au centre se trouverait la nouvelle Qibla comme test de foi et aux extrémités une confrontation avec les dénégateurs[1]. Malheureusement il ne fournit pas le détail structurel de ses compostions, semblant faire un découpage thématique. Cependant pour la séquence C, dont nous détaillons ci-dessous les deux tiers d’une séquence, nous tombons sur le même découpage. Nous étudierons le passage 124-129, l’élévation de la maison par Abraham et Ismaël, ce qu’il appelle le cercle central de C. Et le passage 131-141, argumentation avec les juifs et les chrétiens, qui est pour lui le dernier cercle de C, et donc nous trouvons le même centre : l’appel des musulmans à suivre tous les prophètes.

 

Il note que la partie B critique la prétention des fils d’Israël à un traitement spécial, car « les transgresseurs parmi eux seront jugés comme les autres transgresseurs », tandis que « ceux qui croient et font les œuvres salutaires, incluant les juifs les chrétiens et les sabéens, n’auront rien à craindre. (v.62, comparer avec 82). Ici dans deux places centrales, le Coran parle d’égalité et de pluralisme religieux. » Nous pensons comme lui que le Coran critique entre autres la préférence communautaire et institue un jugement individuel, juste, selon les actions de chacun.

 

2.135 « Ḥanifan »

 

Nous présentons de ce fait l’étude du passage 124-129 ainsi que celle du passage 130-141. Deux passages sur Abraham, quand il érige la maison avec Ismaël. Le second aurait suffi pour la simple occurrence de « ḥanifan ». Cependant nous reviendrons par la suite sur les thématiques développées dans 124-129, et il convient de les étudier in situ. Nous demanderons au lecteur de bien garder en mémoire le vocabulaire, en particulier celui du verset 125 « Quand nous fîmes de la maison (الْبَيْتَ) un héritage[2] (مَثَابَةً) pour les humains (لِلنَّاسِ) et une sûreté (أَمْنًا). Adoptez la position (مَقَامِ) d’Abraham, un lieu de prière. »

 


[1] Les défiant à proposer soit une sourate semblable au Coran soit à changer le lever du Soleil, semblant s’accorder avec l’allégorie de la prophétie comme lumière, cf Emran El Badawe, ,p.

[2] Littéralement un lieu en récompense. Même racine qu’en 2.103 : « Et s'ils croyaient et vivaient en piété, une récompense (لَمَثُوبَةٌ) de la part d'Allah serait certes meilleure. Si seulement ils savaient ! » La maison d’Abraham, récompense pour les humains fait ici penser à la terre promise, redéfinie, ou remplacée, peut-être déplacée. Nous reverrons plus en détail dans la sourate Al Imran le lien entre la maison, Ismaël et l’alliance. Un « lieu en récompense » pour les hommes semble annoncer le « mafazan » de la sourate Al Naba.