Juj et Majuj – Dhu Al Qarnyn

Gog et Magog

La première apparition du terme (en dehors de Gog fils de Japhet dans la Genèse) se trouve dans le livre d’Ezeckiel (Dhu al-Kifl ?, vers -600 -570) au chapitre 38 :

1 La parole de l’Éternel me fut adressée en ces termes: 2 Fils de l’homme, tourne ta face vers Gog, au pays de Magog, vers le prince de Rosh, de Méshec et de Tubal, et prophétise contre lui;

Ezeckiel 38:1-2

Le prophète prophétise ensuite comment Dieu amènera ce peuple à faire la guerre dans les montagnes de Palestine pour le détruire dans des jours futurs, ou bien les derniers jours « aḥarit ha-yamim אחרית הימים‎ ». Les versets 20.7-10 de l’Apocalypse de Jean place cet évenement à la fin des temps, après le règne de Jésus.

Comment identifié ce roi Gog de la terre de Magog ? Les trois noms de peuple (“vers le prince de Rosh, de Méshec et de Tubal“) peuvent nous aider. Rosh et Tubal sont difficilement identifiables (Tabal n’existe plus au temps d’Ezeckiel, Tubal pourrait renvoyer aux Tibareni, un peuple scythe aux abords de la mer noire).

Hécatée de Milet (-550 – 476) parle des Moschi vers la Georgie actuelle. Selon Hérodote, l’équipement des Moschoi était similaire à celui des Tibareni, il serait alors possible d’identifier ces deux peuples (Méshec et Tubal) au 6e siècle, vers les montagnes du caucase. Comme sur la carte ci-dessous, entre la mer noire et la Caspienne :

Le nom de Gog et Magog en viendra à désigner tous les peuples des steppes dont les invasions sont récurrentes. On pensera aux scythes, mais également les parthes (une tribue qui envahit ne région rebelle de l’empire séleucide), les tatars, les mongols et les huns. Les deux cartes ci-dessous permettent de voir que ces peuples occupent un territoire similaire, au nord et à l’est du moyen orient, qui pose une menace permanente sur la mésopotamie. Ce qui explique la continuité de l’appelation Gog et Magog dans le temps. Les juifs en viendront même à associer les romains avec Joj et Majoj. Pour les musulmans, sont appellés Juj et Majuj les Turcs qui menacent Bagdad et le nord de l’Iran; puis plus tard, les Mongols qui ont détruiront Bagdad en 1258. Il y a donc une continuité historique dans ce nom donné au peuples envahisseurs venus des steppes.

Dhul-Qarnain

Qui est ce personnage nommé Dhul-Qarnain dans la sourate Al Kahf du Coran ? Un trait particulier est sa construction d’une muraille dans une vallée montagneuse pour arrêter Gog et Magog.

Flavius Josephe, historien juif du Ier siècle, attribue à Alexandre des portes de fer édifiées comme une barrière contre les Scythes. Ces portes sont également mentionnées dans l’Histoire des guerres de Procope, Livre I. Ils les appelles portes de la Caspienne, et sont source de conflit diplomatique entre les Byzantins et les Perses sassanides. Dans le pseudo-Methode et la légende syriaque d’ Alexandre ( 629 ), Gog et Magog ( ܓܘܓ , ܡܓܘܓ ܵ) apparaissent comme les rois des nations Huns. Les portes, en bronze enduit d’huile, sont également citées dans le roman d’Alexandre de Pseudo-Callisthenes. Toute cette littérature de la fin de l’antiquité donne un cadre contextuel au texte coranique. Au point que beaucoup interprètent Dhul-Qarnain comme Alexandre, s’appuyant sur des interprétations un peu tirées par les cheveux, comme les bords de son chapeau, qui auraient formés deux cornes.

Cependant si l’on s’interessent aux portes en questions, les potentielles candidates sont les murailles de Derbent, la passe de Darial et la muraille de Gorga. Elles ont été construites contre les Scythes par les perses Sassanides, à l’exception de la dernière par les Parthes. Et donc pas par Alexandre. Nous allons voir que la réponse que donne le Coran à leur origine est un peu plus subtile.

Voici une carte avec les principaux candidats. Merci au site wikia.org pour les descriptions ci dessous, traduites de l’anglais.

Les Murailles de Derbent

D’une longueur de 3 650 m au nord et 3 500 m au sud et comportant sept portes, des tours massives rectangulaires et rondes, le mur reliait 30 fortifications déjà existantes. Aujourd’hui, le mur nord et les principaux murs de la ville subsistent, mais la majeure partie du mur sud est perdue. Les techniques de construction utilisées ressemblent à celles de Takht-e Soleiman, également construit à la même époque. Derbent était également le siège d’un marzban sassanide.

Le col de Derbent était la structure défensive sassanide la plus importante du Caucase. Plus tard, les historiens arabes musulmans ont eu tendance à attribuer toute la ligne de défense à Khosrow I et à l’inclure parmi les sept merveilles du monde. Au Moyen Âge, on attribuait à Alexandre le Grand d’avoir fermé le col de Darband contre les tribus de Gog et de Magog venant du nord; d’où le nom de «porte d’Alexandre» et les «portes de la Caspienne» pour le col de Derbent .

Les gorges de Darial

Situées dans le Caucase, tombées aux mains des Sassanides en 252/253 lorsque l’empire sassanide a conquis et annexé la péninsule ibérique. Ont été fortifiées par les Romains et les Perses. La fortification était connue sous le nom de porte des Alans, de portes ibériques et de portes du Caucase.

La question des Quraysh

Ibn Ishaq rapporte que pendant la période mecquoise, les Quraysh, qui doutaient beaucoup de Muhammad, envoyèrent deux émissaires vers les juifs de Médine pour s’enquérir si selon leurs écritures Muhammad pouvait être un prophète. Les rabbins leur répondent :

« Interrogez-le sur certains jeunes hommes dans les temps anciens, quelle était leur histoire pour la leur est une histoire étrange et merveilleuse. Interrogez-le sur un homme qui a beaucoup voyagé et a atteint l’est et l’ouest de la terre. Quelle était son histoire et interrogez-le sur le Ruh (Saint-Esprit) – qu’est-ce que c’est? S’il vous parle de ces choses, alors il est un prophète, alors suivez-le, mais s’il ne vous le dit pas, alors c’est un homme qui invente des choses, alors traitez-le comme bon vous semble. »

La Sourate Al Kahf, descendue pour répondre à ces questions, prend donc cadre dans un test pour vérifier que Muhammad est un prophète selon les écritures juives. Or il existe dans les écritures une réponse à cette question, et nous allons voir, qu’elle est ancrée dans le texte, dans l’histoire, mais aussi la politique de l’époque, car elle cache une proposition pour les juifs.

On trouve chez le prophète Daniel un royaume représentés par deux cornes :

“3 Je levai les yeux, je regardai, et voici, un bélier se tenait devant le fleuve, et il avait deux cornes [dual en hébreu קְרָנַיִם]; ces cornes étaient hautes, mais l’une était plus haute que l’autre, et elle s’éleva la dernière. 4 Je vis le bélier qui frappait de ses cornes à l’occident, au septentrion et au midi; aucun animal ne pouvait lui résister, et il n’y avait personne pour délivrer ses victimes; il faisait ce qu’il voulait, et il devint puissant. 5 Comme je regardais attentivement, voici, un bouc venait de l’occident, et parcourait toute la terre à sa surface, sans la toucher; ce bouc avait une grande corne entre les yeux. 6 Il arriva jusqu’au bélier qui avait des cornes, et que j’avais vu se tenant devant le fleuve, et il courut sur lui dans toute sa fureur. 7 Je le vis qui s’approchait du bélier et s’irritait contre lui; il frappa le bélier et lui brisa les deux cornes, sans que le bélier eût la force de lui résister; il le jeta par terre et le foula, et il n’y eut personne pour délivrer le bélier. 8 Le bouc devint très puissant; mais lorsqu’il fut puissant, sa grande corne se brisa. Quatre grandes cornes s’élevèrent pour la remplacer, aux quatre vents des cieux. 9 De l’une d’elles sortit une petite corne, qui s’agrandit beaucoup vers le midi, vers l’orient, et vers le plus beau des pays. 10 Elle s’éleva jusqu’à l’armée des cieux, elle fit tomber à terre une partie de cette armée et des étoiles, et elle les foula. 11 Elle s’éleva jusqu’au chef de l’armée, lui enleva le sacrifice perpétuel, et renversa le lieu de son sanctuaire.(…) 19 Puis il me dit: Je vais t’apprendre, ce qui arrivera au terme de la colère, car il y a un temps marqué pour la fin. Le bélier que tu as vu, et qui avait des cornes [en arabe  ذَا الْقَرْنَيْنِ], ce sont les rois des Mèdes et des Perses. Le bouc, c’est le roi de Grèce, La grande corne entre ses yeux, c’est le premier roi. Les quatre cornes qui se sont élevées pour remplacer cette corne brisée, ce sont quatre royaumes qui s’élèveront de cette nation, mais qui n’auront pas autant de force. 23 A la fin de leur domination, lorsque les pécheurs seront consumés, il s’élèvera un roi impudent et artificieux. 24 Sa puissance s’accroîtra, mais non par sa propre force; il fera d’incroyables ravages, il réussira dans ses entreprises, il détruira les puissants et le peuple des saints. 25 A cause de sa prospérité et du succès de ses ruses, il aura de l’arrogance dans le coeur, il fera périr beaucoup d’hommes qui vivaient paisiblement, et il s’élèvera contre le chef des chefs; mais il sera brisé, sans l’effort d’aucune main.”

Ce texte bien connu pour décrire les royaumes de l’antiquité comme des animaux, renvoie “deux cornes” au royaumes Medo-Perse. On retrouve les Sassanides qui les ont construites et gèrent encore à l’époque le royaume de Perde. Cette référence biblique est habile, car elle comporte également une référence à Alexandre auquel la tradition attribue le portes. Alexandre est le roi de Grèce dans le même texte, dont les 4 généraux se partageront l’empire, et dont sortira Antiochus IV Epiphane connu pour avoir persécuté les juifs à Jérusalem.

Si les deux cornes renvoiet à l’empire Medo-Perse, qui est Dhul-Qarnain à qui le texte fait il référence et qui lance des expéditions dans toutes les directions ? Regardons la carte du royaume de Cyrus, roi de Perse à l’époque de Daniel et célèbre pour avoir lui restauré les juifs à Jérusalem. Ce roi tiend justement les Scythes à l’écart. C’est le prototype d’un moyen orient unifié entre le Khorasan et l’Egypte :

Cette réponse est donc particulièrement adaptée si elle est renvoyée aux juifs de Médine, pour les convaincre qu’un royaume monothéiste établi sur la région peut être en paix avec eux et les rétablir à Jérusalem dont ils sont actuellement chassés par les Byzantins. La réponse de Muhammad écarte donc subtilement le roi de Grece pensé par les byzantins comme le fondateur de ces portes au profit de leurs constructeurs réels, les sassanides, et d’une référence à un roi admiré par les juifs, Cyrus. Qui vaut message de paix à l’adresse des juifs qui doivent se prononcer sur sa réponse prophétique. Le texte biblique contient une référence très favorable à Cyrius, qui convient particulièrement au monothéisme stricte du Coran :

« 1 Ainsi parle l’Éternel à son oint, à Cyrus, 2 Qu’il tient par la main, Pour terrasser les nations devant lui, Et pour relâcher la ceinture des rois, Pour lui ouvrir les portes, Afin qu’elles ne soient plus fermées; Je marcherai devant toi, J’aplanirai les chemins montueux, Je romprai les portes d’airain, Et je briserai les verrous de fer. 3 Je te donnerai des trésors cachés, Des richesses enfouies, Afin que tu saches Que je suis l’Éternel qui t’appelle par ton nom, Le Dieu d’Israël. 4 Pour l’amour de mon serviteur Jacob, Et d’Israël, mon élu, Je t’ai appelé par ton nom, Je t’ai parlé avec bienveillance, avant que tu me connusses. 5. Je suis l’Éternel, et il n’y en a point d’autre, Hors moi il n’y a point de Dieu; Je t’ai ceint, avant que tu me connusses. 6 C’est afin que l’on sache, du soleil levant au soleil couchant, Que hors moi il n’y a point de Dieu: Je suis l’Éternel, et il n’y en a point d’autre. 7 Je forme la lumière, et je crée les ténèbres, Je donne la prospérité, et je crée l’adversité; Moi, l’Éternel, je fais toutes ces choses. 8 Que les cieux répandent d’en haut Et que les nuées laissent couler la justice! Que la terre s’ouvre, que le salut y fructifie, Et qu’il en sorte à la fois la délivrance! Moi, l’Éternel, je crée ces choses. » Esaïe, 45. 1-8.

En conséquence de quoi nous sommes tout à fait favorable à dire que Dhul al Qarnain est une réponse subtile du Coran à la question posée, qui monopolise des référents de l’époques, Gog et Magog, Alexandre et ses portes, et donne une réponse précise sur la lutte continue des medes (perses puis iraniens) contre les peuple scythes. Cette réponse est aussi une référence donnée aux juifs à Cyrius le Grand, auquel ils sont favorables, et peut leur laisser envisager à l’avenir une entente avec les musulmans, qui pourraient les rétablir à Jérusalem.

Il est interessant d’observer sur les cartes que les steppes des Scythes et le moyen orient autour de la mésopotamie forment deux grands ensembles géographiquement logiques, et qui historiquement sont parfois remplis. Le monde musulman reproduit à peu de choses les empire de Cyrus ou d’Alexandre.

Ce qui ressort au montage, c’est une opposition continue dans l’histoire entre deux grands ensembles géographiques, le moyen orient au sens large, et les steppes au nord. Au fur et à mesure de l’histoire des royaumes alternent sur ces positions en réussissant plus ou moins à réunir leurs zones respectives dans un même ensemble. Cette histoire est déjà là entre les scythes et les perses vers -500, elle continuera encore vers 1200 entre les musulmans et les turco mongoles.

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