La Pâque est la première des fêtes biblique, et marque le début de l’année. C’est la fête la plus importante du judaïsme, qui commémore la sortie d’Egypte ; et du christianisme, qui commémore la mise en croix et la résurection de Jésus.
Le conflit sur la date de la Pâque chrétienne est le premier grand conflit interne au christianisme. Il est fondamental en ce qu’il démarque l’église romaine de celles d’Asie (Asie Mineur, Cilicie, Syrie, Judée et Mésopotamie), que l’on appelera a posteriori christianisme oriental. Et créé l’une des différences majeure avec le christianisme primitif, ou judéo-christianisme.
A la suite des guerres menées par Rome contre les juifs et les chrétiens qui sont encore difficilement différentiables, et des massacres qui ont mis à terre leurs communautés, la capitale impériale va impulser dès le second siècle des changements de doctrine pour imposer sa domination religieuse. C’est une étape importante dans la formation d’un christianisme romain se démarquant du christianisme original et de ses origines juives. Le conflit quartodécimain en est un des premiers exemples dès 116 ap. JC, c’est à dire après la seconde guerre judéo Romaine, la guerre de Kitos.
La fête de Pâque
Il convient de rappeller rapidement l’importance religieuse de cette fête pour le judaïsme et le christianisme, et le lien qu’elle conserve entre les deux tarditions, permettant d’y donner un sens nouveau dans le Christianisme. La fête juive de la Pâque consiste à commémorer l’exode des fils d’Israël hors d’Egypte. Le 14e jour du premier mois après l’équinoxe de printemps. Elle consiste à sacrifier un agneau et le manger « à la hâte » avec des herbes amers, comme les fils d’Israël quittant l’Egypte. Cela leur sera compté comme « un signe sur vos mains et vos fronts« . La Pâque représente le passage d’une situation de persécution en Egypte à sa libération et son départ vers la terre promise.
L’ensemble de la vie de Jésus, telle qu’elle est racontée dans les évangiles, est rythmée par les 3 grandes fêtes monothéistes (Pâque, Pentecôte, Tabernacles). La récitation et l’enseignement des évangiles étaient également marqués par ce calendrier liturgique. Ainsi le fond (les enseignements de Jésus dispensés lors de ces fêtes) et la forme (la récitation des évangiles) s’exprimaient à travers le calendrier, au rythme des fêtes juives, et des récits qui donnaient le cadre de fond des épisodes
Voir par exemple comment la fête de Pâque sert de toile de fond à la distribution des pains : La Table servie et le rassemblement de la communauté, Jean 6.1-15). Le déjeuner sur la montagne de l’évangile de Jean se fait « quand Pâque approchait ». Jésus pose des questions à ces disciples sur l’exode qu’il intègre à son discours. De même le conflit avec le clergé qui s’ensuit se fait dans le cadre de la fête des tentes. La révélation de l’esprit aux apôtres dans le livre des actes a lieu la nuit de la Pentecôte, qui ne tarda pas à être associé à la réception des tables de la loi par Moïse.
Ainsi la crucifixion racontée dans les évangiles a lieu à Pâque, le 14e jour du premier mois. Le lien entre les deux événements est immédiat : Jésus qu’il est l’agneau de la Pâque. La fête devient la grande fête chrétienne, commémore la sortie d’Egypte et la crucifixion, suivie le dimanche par par la résurrection de Jésus, accomplissement de la fête juive des premiers fruits.
Les disputes quartodécimaines
Cette correspondance disparaît peu à peu avec l’imposition d’un nouveau calendrier pascal. Alors que Jésus et la communauté de Jérusalem s’inscrivent dans la continuité culturelle et religieuse des fils d’Israël, vont se former progressivement deux nouvelles entités, judaïsme et christianisme, près d’un siècle APRES le départ de Jésus. Elles n’émergeront que vers 90-120 pour le judaïsme, suite à la destruction du temple (la Torah va remplacer celui-ci comme fondation du judaïsme) et aux changement imposés par Rome (des responsables validés par Rome pour les communautés, et l’interdiction de convertir, le judaïsme étant jusque là une religion prosélyte …). Et au 4e siècle pour le christianisme, qui commence alors à prendre sa forme finale, suite à une série de transformations imposées par en haut, entre injonctions impériales et persécutions des récalcitrants. Les évêques successifs de Rome vont décidé au début du 2 siècle de changer la date de Pâque, et d’abandonnent la fête du 14 Nisan pour fêter les pâques romaines le dimanche (les anglais font la distinction entre passover et easter, en français entre Pâque et paques).
A la fin de la guerre de Kitos qui oppose Rome avec les communautés juives et chrétiennes, principalement en Mésopotamie et au Maghreb, le Pape Sixtus (116-125) (The Passover-Easter Controversy) est le premier à ne plus fêter la pâque le 14e jour, comme l’atteste la citation d’Irénée par Eusèbe ci dessous. Ce pape instaure aussi l’obligation de « lettres apostoliques » pour les évêques, qui officialise et centralise leur nomination (Wikipédia).
« Parmi ces hommes, les presbytres antérieurs à Soter qui ont dirigé l’Église que tu gouvernes aujourd’hui, c’est-àdire Anicet, Pie, Hygin, Télesphore, Xyste, n’ont pas non plus gardé eux-mêmes (le quatorzième jour) et ils n’ont pas imposé (leur usage) à ceux qui étaient avec eux ; et bien que ne gardant pas eux-mêmes (le quatorzième jour), ils n’en étaient pas moins en paix avec ceux qui venaient des chrétientés dans lesquelles il était gardé, lorsqu’ils arrivaient chez eux. Pourtant, le scandale était plus grand, pour ceux qui ne l’observaient pas, de voir observer par d’autres (le quatorzième jour) » (Eusèbe, Hist Eccl. 5, 24, 14)
Liste des papes évoqués dans cette lettre :
Sixte I (115-125) — aussi appelé Xyste I
Télesphore (125-136)
Hygin (136-140)
Pie I (140-155)
Anicet (155-166)
Soter (166-175)
Après la révolte juive de Bar Kokhba (132-135), le bilan est de 580.000 morts selon les sources romaines, qui donnent une idée de l’ampleur quoique peut être éxagérées, 50 villes fortifiées et 985 villages rasés. « Après la défaite, Jérusalem est rasée par Hadrien et interdite aux Juifs, qui toutes tendances confondues sont expulsés de la ville (…). » « Après la répression Hadrien veut déraciner le nationalisme juif en Judée. Il interdit la loi de la Torah et le calendrier hébreu, la pratique du Shabat et fait exécuter les érudits. Les rouleaux de la Loi sont brûlés cérémonieusement dans le grand complexe du Temple pour Jupiter qu’il a construit sur le Mont du Temple. Dans ce temple, il a installé deux statues, l’une de Jupiter, l’autre de lui-même. » (Wikipedia (en), Hadrian).
L’interdiction du judaïsme en Palestine par Hadrien, provoque la dispersion des évêques judéo chrétiens et leur remplacement par des évêques non juifs, probablement sous la pression du pouvoir civil. Ce qui facilitera l’adoption du dimanche et de la nouvelle Pâque, les pratiques juives étant de toute façon interdites. « La controverse de Pâques, comme nous l’avons remarqué, selon Épiphane, « surgit après l’époque de l’exode des évêques de la circoncision » (PG 42, 355, 356). Cette déclaration semble impliquer qu’avant cette époque, le dimanche de Pâques était inconnu en Palestine et était probablement pratiqué seulement par quelques chrétiens dans le reste du monde. » (The Passover-Easter Controversy)
Vers 160, le Pape Anicet tente d’imposer l’abandon du 14 Nisan. Ce qui provoque un conflit avec les églises d’orient, qui envoient Polycarpe défendre la Pâque quartodécimaine. Le disciple de l’apôtre Jean met toute son autorité pour s’y opposer. C’est peut-être cela qui le pousse à inclure l’évangile de Jean (écrit vers 90 par l’apôtre à Patmos), dans un assemblage des 4 évangiles . En effet cet évangile est plus précis dans la datation des évènements de la semaine de Pâque.
Il semble que l’Evangile de Jean occupe une place particulière.
C’est celui qui écrit en dernier. Mais son écrivain est connue de façon assez fiable, et Jean était un des, sinon le disciple le plus proche de Jésus. Jean a vécu le plus tard des disciples. Il est transmit par Polycarpe et probablement inclut dans le Canon par lui. L’évangile de JEan apporte des précisions sur la date de Pâque et de la crucifiction qui ne sont pas présente dans l’évangile. Tout cela est validé par Irénée, un évêque adoubé par Rome, mais intègre et contemporain des derniers témoins. Ainsi l’évangile est tardif relativement aux autres, mais écrit par des contemporains de Jésus et connus à l’époque de sa transmission.
Polycarpe est par la suite brulé pendant les persécutions anti-chrétiennes pour avoir refusé de prendre pour dieu l’empereur romain. On observe régulièrement dans ce conflit un aller retour entre les persécutions antichrétiennes et antijuives de l’empire romain et des innovations religieuses des évêques chrétiens romains qui permettent d’assujetir le monothéisme à l’empire.
« Diverses sources suggèrent que la Pâque quartodécimaine était beaucoup plus répandue qu’Eusèbe n’est prêt à admettre. Avant l’époque du pape Victor, il semble avoir été pratiquée par certaines Églises même à Rome. Le fait qu’Irénée se réfère aux « prêtres avant Soter » (Eusèbe, Hist Eccl. 5, 24, 14), en contournant le dernier, comme exemples d’évêques qui ont permis l’observance de la Pâque quartodécimaine, suggère que le changement de la politique sur la question de Pâques, a eu lieu à l’époque de Soter. L. Duchesne, helléniste de renom, note à cet égard que « sous Soter, successeur d’Anicète, les relations semblent avoir été tendues « (Histoire ancienne de l’Eglise [Paris: E. Thorin, 1889,] 1: 289). En Gaule, cependant, les deux variations de Pâque semblent avoir coexisté, même au moment de Irénée, sans causer de problèmes majeurs. En fait Irénée témoigne: « Nous vivons également en paix les uns avec les autres et notre désaccord dans le jeûne confirme notre accord dans la foi » (Lac,« Eusèbe History »5, 24, 13, p.611). » (The Passover-Easter Controversy)
Ensuite le Pape Pope Victor I (189–198ad) impose les pâques romaines aux églises d’orient sous peine d’exclusion. La résistance des églises orientales, et de Polycrate, provoque leur exclusion et la continuation des relations romaines avec les seules églises « converties » au nouveau culte. La revendication de l’héritage des apôtres est au cœur de l’argumentation, Rome commençant à forger le dogme de « la clé de Pierre » pour justifier ses ordres à la communauté. Polycrate répondra du nombre important d‘apôtres et de figure du christianisme primitif en orient. Cyprien (250) attribuera la primauté de Rome en fonction de l’héritage de Pierre, tout en remarquant que tous les apôtres ont reçu une autorité semblable.
Le concile de Nicée en 325 statuera définitivement sur la date des pâques romaine le premier dimanche qui suit la première pleine lune après l’équinoxe. Le but est bien d’imposer les pâques romaines comme fête unique pour toute les communautés. Cela se fait dans un vocabulaire explicitement antisémite, montrant l’importance de se démarquer des pratiques des « criminels » et de leurs « viles actions » comme justification pour imposer ses pratiques sur le christianisme d’orient.
La perspective de cette controverse permet d’entrevoir l’abandon puis l’excommunication du judéo-christianisme oriental au profit d’une nouvelle tradition, romaine. Appuyée d’abord sur un l’anti christianisme païen de l’empire romaine, qui deviendra antisémitisme au fur et à mesure que se formera une nouvelle tradition chrétienne qui pourra prétendre se « purger » des « influences juives » L’antisémitisme romain se construit ainsi comme un processus de bouc émissaire qui permet de consolider un pouvoir central sur le christianisme, et d’expulser le judéo-christianisme oriental au profit d’un christianisme romain qui va émerger progressivement, au fur et à mesure de la conversion de l’empire.
2. Le conflit sur les début de l’année
En dehors de la forme de la fête de Pâque, le concile de Nicée
impose surtout le compte de l’année : Pâque, donc le mois de Nisan, aura
lieu la première pleine lune après l’équinoxe. Au-delà de la dispute
quartodécimaine à proprement parler, il y a de faits jusque là de vastes discutions,
débats et controverses sur le début de l’année.
Suite à la dispersion des juifs de Palestine par Hadrien, il n’y a plus de
centre réligieux qui fixe un calendrier commune, et les juifs semblent avoir
des cycles métoniques, pas totalement alignés selon les endroits. Les chrétiens
se font leur propres calendriers et les comparent aux calendriers juifs. Ils
les accusent d’avoir de trop grande variations et de régulièrement fêter Pâque avant l’equinoxe.
Avant la dispersion, le judaïsme de la période Hérodienne a des dates très tardives, Pâque tombe régulièrement au mois d’avril. Il semble donc que la règle, y compris à l’époque de Jésus, fut de commencer le mois de Nisan à la première lune après l’équinoxe de printemps. Cette pratique fut perdue par la suite. Les chrétiens orientaux semblent s’être calés sur les communautés juives locales, jusqu’à s’apercevoir que ce n’était pas suffisant.
Le christianisme romain semble avoir fusionner sa fête avec les fêtes païennes
du printemps, et donc ramener Pâque à la première pleine lune après l’equinoxe.
En effet de nombreux cultes de la fertinité ont des déesses nommées avec pour nom
des variations de « Ishtar » d’Assyrie, jusqu’à Eostre des saxons ou
Ostara des germains. A Rome des cultes des mystères fetent déjà au printemps
des mythes de morts / résurection, qui donneront beaucoup de concurences aux chrétiens.
L’époque propose donc trois façons de calculer le début de l’année :
– le début du mois de Nisan la première lune après l’équinoxe
– la fête de Pâque, le 14 Nisan, après l’equinoxe.
– des cycles variées dont le plus connu est le cycle métonique, qui selon leur application peuvent amener à sortir du cadre logique (Pâque au printemps).
La plus ancienne, et quelque part la plus logique, semble la première, fêtée au temps de Jésus, qui commence l’année après l’equinoxe. La connaissance est ancienne, et se trouvait déjà dans le croiscent fertile et en Egypte. Au deuxième millénaire avant JC, les pleiades marquaient l’equinoxe de printemps et étaient connues visiblement dans tout le monde habité. Il est probable, en tout cas réaliste, que l’hébreu « tequfah », le tournant de l’année face référence à l’equinoxe ou un phénomène semblable, et que la référence de la Torah au printemps ne concerne pas seulement la pousse des blés, mais l’equinoxe, les deux phénomènes étant de toute façon intimement liés.
3. Le détournements des fêtes judéo chrétiennes en fêtes christiano-romaines.
Comme on l’a vu, la fête de Pâque juive est en concurrence à Rome avec les fêtes du printemps et les mythes de mort/résurection, et un certains concrétisme amène à aligner la fête de la pleine lune au dimanche suivant, phénomène probablement parallèle au remplacement du sabbat par le dimanche, le jour du soleil.
Ce ne sera pas seulement le cas pour Pâque, mais aussi pour la fête des tentes qui deviendra la fête des morts et l’intégration des staurnales et de sol invictus dans les fêtes catholique de noël, la nouvelle lumière. Le folklore païen remplacera progressivement l’histoire juive de l’exode et son sens chrétien, pour permettre l’emergence d’une tradition compatible avec la dynamique de l’empire romain et des peuples conquis.