Le prophète Muhammad était-il vraiment capitaliste?

Non la question n’est pas si farfelue. D’abord car à bien y regarder qui n’a jamais entendu dans une discussion après le joumou’a (prière du vendredi) ou dans un débat entre amis quelqu’un défendre bec et ongles que l’islam est bien plus compatible avec le capitalisme qu’avec le socialisme ou le marxisme? Ces derniers étant anticléricaux, antireligieux, athées, contre la propriété et alliés de forces de dépravation morale ? On a tous déjà entendu ce genre d’arguments.

Qui n’a jamais entendu quelqu’un dire qu’il valait mieux s’allier avec les conservateurs d’extrême droite et les capitalistes qu’avec la gauche athée qui détruit la famille, la société et les valeurs morales qui structureraient une société saine?

« Le prophète Muhammad était un commerçant qui faisait de l’argent, s’est enrichi et a prôné la réussite sociale. C’était un entrepreneur, un capitaliste »

Examinons cette affirmation. Tout d’abord, le prophète (asws) a travaillé toute sa vie. à la Mecque, dans les caravanes, au service de Khadija ou à Médine où il participait à la vie collective. En prenant simplement les sources classiques on peut souligner quelques traits fondamentaux. On peut commencer par dire que le prophète Mouhammad est issu de la noblesse. Il est membre de la tribu des Banou Hachim eux-mêmes intégrés au clan plus large des Qouraysh qui contrôlent la Mecque. Dans ce concert de tribu, les banou Hachim ne sont pas les plus riches ni les plus forts militairement. Mais ils ont un prestige particulier celui d’avoir une autorité sur le pélerinage annuel à la Mecque (cf. article Hilf al Fudul). Muhammad naît donc dans ce contexte où il perd ses deux parents très jeune et va être recueilli par son grand-père Abd El Moutallib et son oncle Abou Talib, lui même jouissant d’une autorité morale et d’un grand prestige au sein de l’assemblée tribale. Il y a peu d’informations sur la très jeune enfance de Mouhammad mais nous savons qu’il aurait été recueilli suivant une habitude des notables de la Mecque par Halimah al-Sa’diyah et son mari de la tribu bédouine des Hawazin. Son instruction est importante, Mouhammad apprend les rudiments de la vie dans le désert et les différents métiers ou rôles de membres d’une caravane. Il participe aux voyages vers le Yémen et vers la Syrie et la Palestine en fonction de la saison. C’est d’ailleurs à la faveur de voyages nombreux vers la Syrie que Mouhammad épousera en 596 environ Khadija bint Kuwaylid, une artistocrate qourayshite membre des Banou Asad pour qui il travaillait régulièrement.

Mouhammad, en tant que commerçant donc, participait à de nombreux voyages commerciaux avant sa mission prophétique. Il était reconnu pour son intégrité et son honnêteté dans ses transactions commerciales, gagnant ainsi le surnom d’al-Amin, « le digne de confiance ». Il était respecté par sa communauté pour sa loyauté et ses compétences.

Cependant, il est important de souligner que Mouhammad n’a jamais utilisé ces voyages commerciaux pour s’enrichir personnellement. Au contraire, il était connu pour sa générosité envers les pauvres et les nécessiteux. Il partageait ses bénéfices avec les moins fortunés et participait activement à la promotion de la justice sociale.

Toutes ces précisions préalables sont importantes. Mouhammad n’est pas en bas de l’échelle sociale qourayshite. Il va certes être fragilisé par sa condition d’orphelin mais en tant que membre des Banou Hachim il a toute sa place dans l’assemblée tribale. Il est donc en l’année 610 – date probable de la première révélation coranique – un homme de bonne condition qui a toute sa place dans la société mecquoise. Il a alors environ quarante ans.

Tout va alors basculer pour lui et ses partisans. Réunis en secret chez Arqam ibn Abi al-Arqam, ses premiers partisans et sa famille le soutiennent. Mais ils vont subir brimades, persécutions, violences, spoliations et ostracisations. Mouhammad lui-même, ne pourra plus guère continuer ses activités de commerce. Il donnera désormais toute sa vie à la prédication et l’organisation de la révolte des opprimés. Et ce jusqu’à sa mort. Que ce soit à la Mecque ou lors de l’expérience unique d’Al Madinah (Médine), Mouhammad oeuvrera pour les démunis et organisera en pratique le partage des richesses en prenant aux riches pour redistribuer aux miséreux et aux démunis plutôt que de compter sur la charité éventuelle de généreux donateurs.

Mouhammad (saws) est ainsi souvent associé à une vie de modestie et de désintéressement, et il existe des arguments solides en faveur de son non-enrichissement personnel. Il a dû quitter La Mecque avec ses partisans lors de l’Hégire vers Médine (Al Madinah). Il va y établir un système de gouvernance collectif basé sur la justice et l’égalité, et a travaillé à améliorer les conditions de vie des membres d’Al Madinah qui regroupait des musulmans, des juifs, des chrétiens et même des païens.

Un hadith rapporté par Anas ibn Malik indique ainsi : « Le Messager de Dieu n’a jamais stocké de provisions pour le lendemain, sauf pour ce qui était absolument nécessaire. » (Sahih al-Bukhari, 1996) Cette rencension ext un de smultiples exemples qui semblent attester du fait que Mouhammad ne cherchait pas à accumuler des richesses pour lui-même, mais se contentait de ce qui était essentiel à sa subsistance ainsi qu’à sa famille.

Et son train de vie était loin du faste que certains veulent bien lui prêter à tort. Un autre hadith rapporté par Abu Huraira mentionne en effet : « Le Messager de Dieu n’a jamais rempli son ventre avec du pain d’orge deux jours consécutifs. » (Sahih al-Bukhari, 1996) dans un contexte où les musulmans ne sont plus en position de faiblesse face à Qouraysh. Cette déclaration et les autres du même acabit mettent en évidence le fait que Mouhammad ne recherchait pas les plaisirs matériels et était satisfait de repas simples et modestes en période de disette ou non.

De plus, Mouhammad était connu pour sa générosité envers les autres. Un hadith rapporté par Abdullah ibn Umar relate : « Le Messager de Dieu était la personne la plus généreuse, et il l’était encore plus pendant le mois de Ramadan. » (Sunan al-Tirmidhi, 1991) Cela souligne l’engagement de Mouhammad à partager avec les autres, même dans les moments où les ressources étaient limitées.

Il faut souligner à ce stade que la société bédouine est déjà anthropologiquement une société qui tend vers une forme de solidarité et de justice sociale. Les normes sociales et les valeurs de l’époque étaient également en accord avec cette modestie. Ce qui n’enlève en rien la spécificité de Mouhammad qui prônait le partage des richesses et la mise en commun des biens plutôt que l’accumulation individuelle des richesses qui commençait à corrompre sa société.

Mort dans le dénuement et la simplicité.

Et pour se convaincre de l’absence totale d’enrichissement personnel chez Mouhammad il faut se pencher sur les derniers instants de sa vie selon les principales sources musulmanes. Au moment de sa mort en l’an 632, il n’avait accumulé aucune richesse personnelle. Malgré son rôle de chef de la communauté musulmane et de dirigeant politique, il vivait une vie modeste et frugale, se consacrant principalement à son devoir et à la promotion des enseignements du Coran.

Un hadith rapporté par Ibn Abbas indique que Muhammad a dit : « Celui qui abandonne sa propriété aux héritiers légaux, c’est comme s’il l’avait donnée en aumône. » (Rapporté par al-Bukhari et Muslim). .

Une autre narration rapporte que lorsqu’il est décédé, il ne laissa aucun bien matériel derrière lui, à l’exception de quelques armes, des chevaux et une parcelle de terre connue sous le nom de Fadak. Ce qui provoquera par ailleurs un incident entre Fatima, sa fille et Abou Bakr le premier Calife mandaté par l’assemblée des musulmans pour fédérer les partisans du Coran et sauver les acquis de la révolution mouhammadienne. Abou Bakr refusera en effet de donner des privilèges à Fatima, prônant ainsi une égalité radicale dans les rangs des musulmans et éviter les risques de création d’une nouvelle aristocratie. Il refusera donc à Fatima cet héritage et collectivisera cette terre qu’il mettra au service du Kanz (littéralement le Trésor).

Ainsi, Muhammad ne cherchait pas à s’enrichir personnellement au delà du raisonnable et bien au contraire considérait tout au long de sa vie et des ses engagements l’entraide, la mise en commun des biens, la générosité et l’aide aux autres comme des valeurs cardinales. Son héritage repose davantage sur les principes moraux, éthiques et spirituels qu’il a transmis à ses partisans et qui continuent d’influencer la vie des musulmans à ce jour.

Il est donc globalement fallacieux et incorrect du point de vue de la Sira et des sources historiques disponibles de prétendre que Mouhammad s’est enrichi personnellement grâce à ses voyages commerciaux, qu’il était un « capitaliste » et que son exemple est compatible avec une vision marchande de la société. Il était comme tous les hommes de son extraction : susceptible de vivre de la vente de marchandises sans pour autant avoir spécifiquement une appétence pour cette activité économique comme fin en soi. Au contraire, il a utilisé ses ressources pour soutenir les plus démunis et promouvoir les valeurs de justice et d’égalité. Sa vie et ses enseignements sont un exemple de désintéressement et de préoccupation pour le bien-être collectif et on peut dire que Mouhammad a quitté un confort et un certain statut social pour se mettre au service de son idéal de justice et propager son message. Il a refusé les prestiges et les richesses des gens de son rang pour préférer une lutte difficile et douloureuse sur le sentier de Dieu.

Il nous reste aujourd’hui des bribes de cette politique radicale de redistribution des richesses et de partage des premières générations de musulmans. Parmi cet héritage on peut citer la zakat qui prend différentes formes. Et même si aujourd’hui elle est perçue comme venant du bon vouloir de chacun, elle correspond initialement à une obligation individuelle et permet de financer les solidarités des sociétés musulmanes. La zakat constitue en cela un impôt fondamental qui vise à réaliser une forme de justice sociale par la redistribution directe ou par la construction et la mise en commun de biens utiles à tous. Plus généralement les politiques de collectivisations des terres prises aux grands propriétaires par Omar ibn al Khattab et la multiplication du système de waqf qui sont des oeuvres impossibles à privatiser (sources d’eau, mosquées, bibliothèques, terrains communaux , etc) ont laissé des traces encore aujourd’hui dans les sociétés musulmanes. Elles sont les marques indélébiles de la volonté de Mouhammad de combattre l’accumulation des richesses et la domination au profit de quelques uns contre la majorité.


 

NewsLetter

Partager

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *