Après Nahel.

/ par COLLECTIFANASTASIS

La CRCF (Conférence des responsables de culte en France) a publié un communiqué en réaction au meurtre du jeune Nahel – paix à son âme. Ce texte (accessible ici) qui appelle « au dialogue et à la paix » n’est pas blâmable dans ses intentions mais paraît toutefois problématique à plusieurs titres.  

Tout d’abord, il est porteur d’une logique spiritualiste en ceci qu’il n’avance que « la prière » en réponse à ce qui s’est passé. Celle-ci est certes indispensable et nul doute que les religieux sont dans leur rôle lorsqu’ils promeuvent des formes de prière qui intègrent les finalités de paix, d’amour et de pardon. Cependant, la prière doit être pensée en lien avec des réformes très concrètes, matérielles, notamment le fonctionnement de la police et l’existence même de certaines de ses fractions. Les violences policières ne sont ni nouvelles ni anecdotiques. Ce qui est nouveau, c’est que les victimes ne se laissent plus faire et qu’elles ont la possibilité, grâce aux moyens de communication modernes, de contredire les récits officiels des institutions. Personne de raisonnable ne prétend que les destructions et violences sont une solution à la situation. Elles ne prétendent d’ailleurs pas l’être. Elles sont à comprendre comme une conséquence produite mécaniquement et malheureusement par la situation. Leur aspect parfois nihiliste est un miroir tendu à notre société, vulgaire à outrance dans ses injonctions matérialistes et ses divertissements absurdes, et non la preuve de « la barbarie » irrémédiable des descendants d’immigrés, ainsi que certains esprits dangereux, avides de guerre civile, s’ingénient à nous le faire croire. En revanche, la raison ne peut consister à ignorer une priorité commandée par l’événement : une réforme urgente et en profondeur de l’institution policière, couplée à une réflexion sincère sur la nature de l’ordre social que nous demandons à la police de garantir. Il est hypocrite d’exiger que la police change tout en refusant de voir en nous, dans notre histoire nationale aussi bien que dans notre politique étatique ou dans nos réflexes culturels, ce qui a façonné l’ordre social que la police a pour fonction de préserver. Nahel a certes été tué par un policier mais nous ne sommes pour autant innocents, en tant que peuple, de son sang versé. En n’évoquant pas de débouchés politiques à la situation, le communiqué du CRCF se retrouve inévitablement du côté du maintien en état de l’existant. 

Ensuite, n’oublions pas la justice dans la critique de la violence. La seule critique de « la violence », aussi bien intentionnée soit-elle, a un aspect abstrait dans la mesure où elle empêche de se poser la question de la justice. Ce n’est pas parce que la non-violence doit être recherchée que l’on peut limiter sa parole publique à une critique de la violence, seulement au moment où un ordre social injuste est ébranlé. La critique de la violence ne peut être l’alpha et l’oméga de la réflexion politique car la crise politique que nous vivons n’est pas épisodique : l’institution chargée d’assurer la sécurité tue périodiquement, notamment des corps de garçons noirs et arabes, et maintient les populations précarisées dans l’insécurité. Ce fait très documenté ne peut être négligé car alors l’esprit de non-violence serait perverti dans son essence. Ce n’est pas parce que, dans les Etats-nations moderne, la police a le monopole de la violence légale que le mot « police » doit servir à légitimer des crimes racistes. 

Enfin, ce texte ne mentionne « la justice » que pour affirmer qu’il faut la « ramener ». Ce terme n’est pas anodin, il porte la trace de l’imaginaire du retour à l’ordre. Or il semble bien que l’enjeu ne soit pas de « ramener » la justice – ce qui supposerait que la situation antérieure à la crise serait juste et légitime – mais bien plutôt de la créer ou en tout cas de l’améliorer. À bien des égards, notre société n’est pas juste. Le phénomène social bien documenté du contrôle au faciès, par exemple, devrait suffire à le savoir. Faire comme si la violence qu’on voit se manifester ces derniers soirs n’était qu’une conséquence irrationnelle à une injustice isolée est faux. Il faut voir que cet événement est un appel à faire de la justice une réalité sociale plus palpable, un appel à concrétiser une égalité réelle entre les citoyens. Cela passe notamment par la refonte du cadre de contrôle administratif et juridictionnel de l’institution policière. Une telle mesure n’est pas exigée contre les policiers mais bien pour l’ensemble de la société, policiers compris. Les policiers eux-mêmes n’ont rien à gagner d’un cadre légal défaillant qui favorise les abus de pouvoir. L’absence d’une autorité indépendante de contrôle de la police, si elle peut être vue subjectivement par beaucoup de policiers comme un rouage institutionnel à conserver, est en réalité une mauvaise manière d’organiser les rapports police-société en ce qu’elle fait prospérer des sentiments d’injustice dans la population.  

Pour nous, catholiques, il est temps d’ajouter un chapitre sur la police dans la Doctrine Sociale de l’Eglise.

Communiqué publié par les camarades du collectif Anastasis ici: https://collectif-anastasis.org/2023/07/03/apres-nahel/

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