Kafeh! Une promesse libertaire au Liban.

Tag anarchiste. Rue adjacente à l’Université Américaine de Beyrouth. Crédit Photo : Cercle Mohamed Saïl. Mai 2022

Le Liban est une terre de tragédie mais aussi d’espoir et de conscience politique. Essentiellement confessionnel, le système politique hérité des accords de Taëf pour mettre fin à 15 ans de guerre civile sanglante, est à bout de souffle. La corruption et l’emprise clanique ne font qu’empirer une situation sociale déjà critique. Jusque-là relativement épargnée par la pyramide de Ponzi bancaire, la classe moyenne libanaise a été sacrifiée sur l’autel de la finance prédatrice.

Aujourd’hui l’Etat (ou ce qu’il en reste) et les communes ne sont plus capables de fournir les services de base comme l’électricité. Les élections législatives de mai 2022 ont été boudées et n’avaient pas d’autre enjeu réel que la négociation d’accords énergétiques avec les pays partenaires et le FMI. Les partis traditionnels prétendent avoir gagné, les candidatures bourgeoises et citoyennistes individuelles semblent avoir le vent en poupe mais n’ont pas soulevé les foules.

Candidatures de femmes aux législatives de mai 2022. Pour Kafeh, “Il ne fait aucun doute que les femmes parlementaires sont éloignées de la question féministe et des principes d’égalité et de justice sociale. Et sont tout au plus une façade féminine censée incarner la modernité et le progressiste, mais qui dans les faits contribuent à la conservation et la préservation de de l’ordre patriarcal”.

Lors de notre retour au printemps 2022 dans la capitale du pays, nous avons pu mesurer à notre humble niveau l’ampleur de cette crise qui a fait basculer 80% de la population sous le seuil de pauvreté. Avec à peine deux heures d’électricité par jour en plein mois de Ramadan et une inflation terrifiante, on est très vite étonnés par le calme relatif de la population. En 2019 on pouvait encore acheter un “Nescafé” chez un vendeur ambulant comme il y en a partout dans les rues de Beyrouth pour à peine 1 euro (environ 1500 livres libanaises). Aujourd’hui c’est facilement plus du triple chez la dizaine de vendeurs qu’on a croisé dans les quartiers de Hamra et Achrafieh. Et tous les produits de base. L’huile, le Labné, le riz et la viande ont augmenté dans les mêmes proportions.

Crédit Photo : Challenges

Kafeh! Un ilôt libertaire autonome, libanais et populaire?

Dans ce marasme qui a l’air sans fin. Un mouvement anarchiste libanais qui n’est pas juste un fantasme d’occidentaux mais bien une organisation autonome qui mobilise ses propres référents théoriques et pratiques a vu le jour à l’aune des insurrections de 2019 est s’est illustré dans les grandes vagues de contestations sociales depuis. Et l’origine diverse de leurs militants ne trompent pas. On y trouve des éléments politisés de la jeunesse dorée qui fréquente l’université Américaine de Beyrouth. Ces membres actifs peuvent militer autour de l’AUB Secular Club et apportent un appui, des relais et des moyens cruciaux pour porter une voix antiautoritaire dans le pays. Mais limiter Kafeh à ce seul vivier relève de la caricature. Dans les faits on trouve chez Kafeh! des militants de tous les milieux sociaux et d’origines religieuses différentes.

Porter la voie anarchiste dans un pays morcelé par le sectarisme et dominé par la prédation capitaliste.

Si le Liban est un paradis pour les religions de toutes sortes c’est un enfer capitaliste où la prédation financière a transformé le mirage de la “Suisse du Moyen-Orient” en dystopie libertarienne. C’est simple, l’idée de bien commun ou de service public est quasi-inexistant et tout repose sur les solidarités populaires, familiales, claniques et sectaires. En France on a l’impression qu’il “il faut payer pour vivre” , au Liban c’est une certitude! Sans compter que l’effondrement général des institutions de ce faible Etat a des répercussions sécuritaires importantes. Toute voix dissonante qui irait vers une remise en cause du partage confessionnel et des intérêts des grandes factions s’expose à une répression qui peut aller jusqu’au meurtre politique (*).

Athéisme exclusif ? Anticléricalisme qui singe l’occident? Quelle place pour une théologie de la libération aux côtés de cette proposition anarchiste?

Dans ce cadre particulier de la société libanaise, Kafeh apparaît comme une boussole aux côtés des organisations ouvrières. Kafeh n’est pas à proprement parler un groupe qui pense et pratique la théologie de la libération. L’athéisme revendiqué et les références anticléricales sont évidentes. Et il est salutaire que des organisations clairement athées et laïques contrebalancent le poids démesuré des religions organisées dans un pays comme le Liban. Mais on peut identifier dans leur programme, leurs revendications un habitus et une anthropologie propre aux peuples arabes, propre aux libanais et propre à cette société. Paradoxalement c’est dans cet ilôt d’athéisme que l’on trouve Dieu, sa justice et sa miséricorde. Kafeh représente donc une bouffée d’oxygène qui opèrera peut-être comme un rappel des vocations premières des révolutions religieuses ou spirituelles : la libération, l’émancipation, l’autonomie individuelle et collective, la lutte contre les tyrans et les dominations.

Kafeh !

Pour suivre Kafeh c’est sur Facebook : https://www.facebook.com/kafeh.lebanon/

  • https://www.lorientlejour.com/article/1250717/lintellectuel-libanais-lokman-slim-porte-disparu-au-liban-sud.html
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