Réification, aliénation, le capital comme ordre supérieur

Ce texte, visant à présenter notre lecture de l’aliénation prend la forme d’une réponse à un article de critique de la valeur, proposé par Palim Psao sur Facebook, et intitulé “UN CONCEPT TRONQUÉ DE CAPITALOCÈNE Critique de Jason Moore, Christophe Bonneuil, Hervé Kempf et Andreas Malm”

L’article s’ouvre sur une question un peu décentrée de son objet principal, et demande un petit détour. L’anthropocene est effectivement assez proche d’être un occidentalocene. il y a de facto une correlation entre les centres, le capitalisme et l’occident, exprimée par exemple dans l’OTAN ou le supremacisme blanc. Il ne s’agit donc pas de culture, ou pas dans un premier temps, mais d’une construction historique, d’abord parfaitement contingente, mais qui s’est imposée dans le réel et fait son chemin dans la superstructure. Quand on parle d’extension du capitalisme, de réification, on pensera par exemple au tourisme, comme épiphénomène de cet occidentalocene.

Il convient de le relever, la lutte des classes pourrait – théoriquement – suffire à catégoriser les groupes humains. Mais le fait qu’elle soit également occultée amène à se demander pourquoi rejeter d’emblée comme culturalisante un rapprochement entre l’occident et la destruction du vivant. L’édification d’une hierarchie humaine dans la distribution des marchandises (par l’accès différencié aux possibilités réelles du système économique) fait partie de la manipulation de l’humanité, donc de la réification et a des conséquences concrètes en terme d’aliénation. Elle fait partie également des concepts ressentis et dont les hommes s’emparent dans leurs luttes concrètes. Si la critique de la valeur escompte sortir de la critique du capitalisme abstrait, elle devra bien s’appuyer sur les réalités concrètes de l’expérience humaine.

Il y a de facto encore une macrostructure élaborée à travers les rapports sociaux économiques. Il ne s’agit plus simplement de la sédimentation de notre mode de vie dans des villes, ou l’élaboration de monuments exprimant et structurant l’ordre social. L’industrie développée par l’extension capitaliste reconfigure maintenant le monde, dont la société qui la produit. Continuer à l’appeler valeur ou fétichisme occulte le fait qu’il s’agit d’une macrostructure très concrete.

Il n’est même pas sûr qu’il s’agisse d’un monde à l’envers. La macrostructure du capital peut-être considérée comme un ordre supérieur qui reconfigure l’humanité en même temps que la nature. Ainsi la citation du Capital « Nous verrons d’une manière générale dans le cours du développement que les masques économiques dont se couvrent les personnes ne sont pas autre chose que la personnification des rapports économiques, et que c’est en tant que porteurs de ces rapports qu’elles se rencontrent. » montre bien que les hommes ont désormais une place dans des structures d’ordre supérieur qui leur affetce des fonctions, non seulement qu’il représente devant les autres, mais qu’il accomplit quotitiennement. Au même titre que les molécules reconfigurent la matière et que les mondes végétales puis animales reconfigurent les ordres inférieurs, l’ordre capital reconfigure le réel de la surface terrestre depuis l’humanité jusqu’à la matière. Il parait inadéquat de continuer à paerle “d’un « sujet automate » qui ne vit, ne se produit et ne se reproduit qu’au travers de nos milliers d’agissements individuels quand on travaille et consomme” tellement le capital est devenu réel, tellement le réel de la surface terrestre a été capitalisé. La valeur elle même, autrefois déjà matérialisée dans les coffres et les livres de compte, est désormais intégrée dans le même système informatique que tout le reste. On aurait du mal à en faire une pure abstraction, tellement les spasmes de ses crises se font sentir à la vitesse de l’éléctricité sur l’ensemble du globe.

Ainsi les termes de la critique de la valeur elle même restent dans le cadre de la société humaine, sans atteindre le point de vue ontologique dans lequel Lukacs avait ancré le marxisme. Nicolas Tertulian présente assez bien l’effort du philosophe hongrois pour trouver une forme philosophique adequate à la pensée marxiste. « Aussi paradoxal que cela puisse paraître, Lukács a non seulement trouvé dans « l’ontologie critique » de Hartmann le principal stimulant pour sa tentative de reconstruire la pensée de Marx sur une base ontologique, mais aussi une puissante confirmation de la justesse de certaines thèses à caractère ontologique et gnoséologique défendues par Lénine dans Matérialisme et empiriocriticisme (1907).” Et encore “Ce constat nous donne le droit de soulever une question incongrue : comment Lénine défend-t-il son matérialisme sinon en affirmant sans cesse tout au long de son livre la transcendance du réel par rapport à sa représentation (d’où sa proposition de distinguer un concept philosophique de la matière, qui signifierait précisément l’autonomie ontologique du réel, des concepts scientifiques de la matière, soumis inévitablement à variation historique), le caractère second du reflet de la chose par rapport à la primauté de la chose en elle-même, le caractère absolu du contenu objectif de la représentation, distinct du caractère relatif de ses contours et de sa forme ?”(Nicolai Hartmann et Georg Lukács, Une alliance féconde, N. Tertulian) En terme ontologique, l’aliénation désigne le fait que l’homme n’est pas/plus maitre de lui-même travail et vit dans un système qui, devenu autonome, n’est plus adéquat au développement de l’homme ni même à celui du vivant. Au delà du monde professionnel, ses rapports humains sont détérminés par sa place dans le système, d’autant plus qu’ils sont de plus en plus médiés techniquement. Le fétichisme ne peut pas être “l’inversion réelle entre l’abstrait et le concret” mais décrit l’attitude de l’homme, qui voit dans le produit fini la réponse à ses besoins et l’objet de ses désirs, en se masquant la réalité sociale de la macrostructure qui produit ces objets. La valeur est la logique intrinséque autonome du macrosysteme, son principe d’auto accroissement.

La macrostructure regroupe le capital comme mode d’organisation économique et l’industrie, de même que la KulturIndustrie qui distribue l’idéologie de la structure, la novlangue ou corp globish qui ré écrit le monde selon sa comprehension dans les termes de la strcuture, la restrcturation néo libérale des états-nation de plus en plus absorbés, le neo management-developpement personnel, véritable religion théorique et pratique de l’homme capitalisé, et ce qu’il faut bien considérer comme le système nerveux de l’ensemble, tellement fort semble l’isomorphisme entre les systèmes d’information et les systemes nerveux ganglionnaires.

Le moment de la lutte de classe, est effectivement intégrée dans le système comme une confrontation entre gestionnaire et gestionné, elle n’en continue pas moins de désigner à travers les centres de décisions/gestions (pouvoir executif, conseils d’adminisatration) le rapport de production entre un système qui décide et des hommes qui font. Et donc de pointer l’autodetermination du genre humain, comme critique, but et moyen de la lutte des classes.

Cependant l’aspect inaccessible des structures de décision, la complexité des systèmes et leur intégration dans l’ensemble peut interroger sur la possibilité pour un mouvement insurectionnel de nous livrer clé en main la direction d’un pays. Bien que l’idée ne doive pas être abandonnée telle quelle, c’est-à-dire rejetée par principe, la necessité théorique et pratique de sortir de l’aliénation et de créer des moyens collectifs de survie à la catastrophe écologique en cours, pousse à adopter immédiatement des comportements autonomes, collectifs et matériels d’une vie en dehors du capital. Si le rétablissement de la pensée marxiste nous apparait indispensable, elle ne permettra pas à elle seule de rétablir la contestation. La pensée ne peut pas avancer quand l’humanité recule. Ce sont avant tout les réalisations concrètes des anarchistes autonomes, ZAD, squats, ateliers autogérés, montrent des formes possibles de ré-organisation collective.

Pour revenir sur ses pieds, le marxisme devrait accompagner ce mouvement déjà entamé et contribuer à lui fournir les munitions nécessaires. Pour commencer il convient de commencer à situer le point de levier, appuyé sur la réalité, où peut se situer la lutte des classes pour renverser le système. Un en dehors qui soit lui aussi critique, but et moyen. Autonome contre l’intégration et la gestion de la superstructure, capable de détourner et récupérer les pièces et mains d’oeuvre de l’infrastructure, de vivre et faire vivre la nature et de créer des solidarités avec le reste de l’humanité, qu’elle soit dans et en dehors du système.

On pourra terminer sur une citation ad hoc de l’ouvrage remarquable, comme toujours, de René Riesel et Jame Semrpun, “Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable”, disponible en ligne, et qui fera bientôt l’objet d’une revue à part entière.

Personne ne sait au juste ce qui va jaillir de la jungle du présent, descombinaisons imprévisibles d’un chaos inouï. Les théoriciens se distinguent néanmoins,et plus ils sont « radicaux » plus cela est marqué, par la satisfaction non dissimulée aveclaquelle ils parlent de crise, d’effondrement, d’agonie, comme s’ils possédaient quelqueassurance spéciale sur l’issue d’un processus dont tout le monde attend qu’il en vienneenfin à un résultat décisif, à un événement qui éluciderait une fois pour toutesl’obsédante énigme de l’époque, que ce soit en abattant l’humanité ou en l’obligeant à seredresser. Pourtant cette attente dépossédée fait elle-même partie intégrante de lacatastrophe, qui est déjà là, et la première tâche d’une théorie critique serait de rompreavec elle, de se refuser à entretenir on ne sait quelle espérance contemplative en pariantpar exemple, comme Jappe, du « vide » propice à « l’émergence d’une autre forme devie sociale » que va créer l’implosion du capitalisme, ou comme Billeter de« l’événement », du « moment imprévisible où quelque chose de nouveau devientsoudain possible » et où les raisonnements critiques ont enfin un usage ; ou encorecomme Vidal, donc plusieurs degrés au-dessous, du « travail de plusieurs générations »que nous aurions tout loisir d’envisager pour que le « mouvement del’antimondialisation » en vienne à « définir, de façon plus ou moins libertaire (sic), lestermes d’un nouveau contrat social » (un délai beaucoup plus long encore ne suffiraitassurément pas à un tel « mouvement », parti comme il est, pour développer quoi que cesoit qui ait à voir avec une conscience critique ; et s’il s’agit de servir leur pâtéeidéologique aux anti-mondialistes les plus gauchistes, Negri fait ça très bien). On peuttoujours tenir pour essentiellement vrai, aujourd’hui encore, l’aphorisme selon lequel,en rupture avec toute philosophie de l’histoire et avec la contemplation d’un agentsuprême extérieur, quel qu’il soit – développement des forces productives ou, enremplacement, autodestruction du capitalisme –, « la théorie n’a plus à connaître que cequ’elle fait» (La Société du spectacle). Cependant, comme beaucoup d’autresaffirmations de la théorie révolutionnaire ancienne, celle-ci s’est trouvée confirméed’une façon bien différente de ce qui était prévu : le cours catastrophique de l’histoireprésente (la « réaction en chaîne ») échappant, pour un temps dont il est impossible deprévoir la durée, à notre action, on ne peut théoriser à son sujet qu’en restaurant d’unemanière ou d’une autre la position séparée et contemplative de la philosophie del’histoire. Il reste donc à pratiquer là aussi une « ascèse barbare », à l’encontre de lafausse richesse des théories prolongées ou reconstituées. Quand le bateau coule, il n’estplus temps de disserter savamment sur la théorie de la navigation : il faut apprendre viteà construire un radeau, même très rudimentaire. C’est cette nécessité de se restreindre àdes choses très simples, certes indignes de la « grande théorie » mais désormais vitales,de se concentrer sur ce dont on a impérativement besoin en sacrifiant tout le reste, queWalter Benjamin a excellemment exprimée dans une lettre à propos du livre d’ErnstBloch, Héritage de ce temps :

“Le grave reproche que je fais à l’ouvrage (quand bien même je ne le ferais pas àl’auteur) est qu’il ne correspond en aucune manière à la situation de sa parution, maissurgit aussi déplacé qu’un grand seigneur qui, venu inspecter une région dévastée par untremblement de terre, n’aurait pour commencer rien à faire de plus pressé que dedemander à ses gens de dérouler les tapis de Perse qu’il a apportés – ici et là un peumités déjà –, d’exposer ses vases d’or et d’argent – ici et là un peu ternis déjà –,d’étendre, ici et là déjà décolorés, les brocarts et tissus damassés. Il va de soi que Bloch ad’excellentes intentions et de grandes idées. Mais il se refuse à les mettre en œuvre enles pensant. En pareille situation – dans un lieu frappé par la misère –, il ne reste plusau grand seigneur qu’à livrer ses tapis comme couvertures, à faire couper des manteauxdans ses riches étoffes et envoyer à la fonte sa vaisselle somptueuse.”

Partager

Une réflexion sur « Réification, aliénation, le capital comme ordre supérieur »

  1. Bonjour, le lien pour accéder au billet Fb “UN CONCEPT TRONQUÉ DE CAPITALOCÈNE Critique de Jason Moore, Christophe Bonneuil, Hervé Kempf et Andreas Malm” renvoi à une page erreur. Connaissez-vous la date de publication de l’article pour le retrouver avec Palim Psao ? Ou est-il possible de partager le texte par mail ? Ou ailleurs/autrement?
    Merci

Répondre à Marion Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *