La Table servie et le rassemblement de la communauté, Jean 6.1-15

La Table servie et le rassemblement de la communauté,
Analyse rhétorique de Jean 6.1-15

                                                                                       

 

Dans son analyse du passage de la table servie, Michel Cuypers montre que la référence biblique dépasse le cadre de la Cène et passe aussi par la distribution des pains, façonnant des références croisées au texte biblique. La référence à la manne s’inscrit également dans le contexte de la générosité de Dieu exprimée dans la nature, développée dans la sourate Al Nahl. A travers cette distribution de pain très allégorique, Jésus invite à reconnaître Dieu, et lui-même comme Son envoyé.

Il invite les apôtres à rassembler le reste d’Israël, s’inscrivant dans un mouvement historique : des 12 tribus perdues dans le désert, un reste est entretenu par les prophètes dans le royaume, que Jésus appel à rassembler ici sur la montagne pour fonder la communauté à venir. Ce passage rentre aussi dans notre analyse de la thèse de Renée Girard, ici Jésus éduque la foule pour en faire des hommes, il fait face aux mouvements religieux des foules évoqués par Girard et refuse qu’on le fasse roi, préférant établir un mouvement vers Dieu. Nous proposons l’analyse de ce texte, qui permet de comprendre, donc démystifier, les allégories de l’Evangile de Jean concernant Jésus et permet de penser le fondement de la communauté dans l’Evangile.

L’analyse de ce passage, couplée avec celle du passage sur la femme adultère nous permettrons d’établir la continuité de l’analyse girardienne du religieux dans le Coran, à travers deux passages parallèles : le veau d’or et Abraham et les idoles.

 

 

Texte grec

1 Μετὰ ταῦτα ἀπῆλθεν ὁ Ἰησοῦς πέραν τῆς θαλάσσης τῆς Γαλιλαίας τῆς Τιβεριάδος· 2 καὶ ἠκολούθει αὐτῷ ὄχλος πολύς, ὅτι ἑώρων αὐτοῦ τὰ σημεῖα ἃ ἐποίει ἐπὶ τῶν ἀσθενούντων. 3 ἀνῆλθε δὲ εἰς τὸ ὄρος ὁ Ἰησοῦς καὶ ἐκεῖ ἐκάθητο μετὰ τῶν μαθητῶν αὐτοῦ. 4 ἦν δὲ ἐγγὺς τὸ πάσχα, ἡ ἑορτὴ τῶν Ἰουδαίων. 5 ἐπάρας οὖν ὁ Ἰησοῦς τοὺς ὀφθαλμοὺς καὶ θεασάμενος ὅτι πολὺς ὄχλος ἔρχεται πρὸς αὐτὸν, λέγει πρὸς τὸν Φίλιππον· Πόθεν ἀγοράσωμεν ἄρτους ἵνα φάγωσιν οὗτοι; 6 τοῦτο δὲ ἔλεγε πειράζων αὐτόν· αὐτὸς γὰρ ᾔδει τί ἔμελλε ποιεῖν. 7 ἀπεκρίθη αὐτῷ ὁ Φίλιππος· Διακοσίων δηναρίων ἄρτοι οὐκ ἀρκοῦσιν αὐτοῖς ἵνα ἕκαστος αὐτῶν βραχύ τι λάβῃ. 8 λέγει αὐτῷ εἷς ἐκ τῶν μαθητῶν αὐτοῦ, Ἀνδρέας ὁ ἀδελφὸς Σίμωνος Πέτρου· 9 Ἔστι παιδάριον ἓν ὧδε ὃς ἔχει πέντε ἄρτους κριθίνους καὶ δύο ὀψάρια· ἀλλὰ ταῦτα τί ἐστιν εἰς τοσούτους; 10 εἶπεν δὲ ὁ Ἰησοῦς· Ποιήσατε τοὺς ἀνθρώπους ἀναπεσεῖν· ἦν δὲ χόρτος πολὺς ἐν τῷ τόπῳ. ἀνέπεσον οὖν οἱ ἄνδρες τὸν ἀριθμὸν ὡσεὶ πεντακισχίλιοι. 11 ἔλαβε δὲ τοὺς ἄρτους ὁ Ἰησοῦς καὶ εὐχαριστήσας διέδωκε τοῖς μαθηταῖς, οἱ δὲ μαθηταὶ τοῖς ἀνακειμένοις· ὁμοίως καὶ ἐκ τῶν ὀψαρίων ὅσον ἤθελον. 12 ὡς δὲ ἐνεπλήσθησαν, λέγει τοῖς μαθηταῖς αὐτοῦ· Συναγάγετε τὰ περισσεύσαντα κλάσματα, ἵνα μή τι ἀπόληται. 13 συνήγαγον οὖν καὶ ἐγέμισαν δώδεκα κοφίνους κλασμάτων ἐκ τῶν πέντε ἄρτων τῶν κριθίνων ἃ ἐπερίσσευσε τοῖς βεβρωκόσιν. 14 Οἱ οὖν ἄνθρωποι, ἰδόντες ὃ ἐποίησε σημεῖον ὁ Ἰησοῦς, ἔλεγον ὅτι οὗτός ἐστιν ἀληθῶς ὁ προφήτης ὁ ἐρχόμενος εἰς τὸν κόσμον. 15 Ἰησοῦς οὖν γνοὺς ὅτι μέλλουσιν ἔρχεσθαι καὶ ἁρπάζειν αὐτὸν ἵνα ποιήσωσιν αὐτὸν βασιλέα, ἀνεχώρησε πάλιν εἰς τὸ ὄρος αὐτὸς μόνος.

 

Français – Bible de Jérusalem

1 Après cela, Jésus s’en alla de l’autre côté de la mer de Galilée ou de Tibériade. 2 Une grande foule le suivait, à la vue des signes qu’il opérait sur les malades. 3 Jésus gravit la montagne et là, il s’assit avec ses disciples. 4 Or la Pâque, la fête des Juifs, était proche. 5 Levant alors les yeux et voyant qu’une grande foule venait à lui, Jésus dit à Philippe : "Où achèterons-nous des pains pour que mangent ces gens ?" 6 Il disait cela pour le mettre à l’épreuve, car lui-même savait ce qu’il allait faire. 7 Philippe lui répondit : "Deux deniers de pain ne suffisent pas pour que chacun en reçoive un petit morceau." 8 Un de ses disciples, André, le frère de Simon-Pierre, lui dit : 9 "Il y a ici un enfant, qui a cinq pains d’orge et deux poissons ; mais qu’est-ce que cela pour tant de monde ?" 10 Jésus leur dit : "Faites s’étendre les gens." Il y avait beaucoup d’herbe en ce lieu. Ils s’étendirent donc, au nombre d’environ 5.000 hommes. 11 Alors Jésus prit les pains et, ayant rendu grâces, il les distribua aux convives, de même aussi pour les poissons, autant qu’ils en voulaient. 12 Quand ils furent repus, il dit à ses disciples : "Rassemblez les morceaux en surplus, afin que rien ne soit perdu." 13 Ils les rassemblèrent donc et remplirent douze couffins avec les morceaux qui, des cinq pains d’orge, se trouvaient en surplus à ceux qui avaient mangé. 14 A la vue du signe qu’il venait de faire, les gens disaient : "C’est vraiment lui le prophète qui doit venir dans le monde." 15 Alors Jésus, se rendant compte qu’ils allaient venir s’emparer de lui pour le faire roi, s’enfuit à nouveau dans la montagne, tout seul.

 

 

 

 

Nous lisons dans ce texte un passage de 5 parties, composées de façon concentrique, selon le modèle suivant :

 

 

1-3                   Jésus se retire à la montagne, suivi par une foule désirant un miracle

5-7                   "Combien de pains pour les nourrir tous ?"

8-9             "Il y a un enfant avec 5 pains et 2 poissons"

10-13              Jésus rend grâce et distribue le pain

14-15              Jésus se retire à la montagne, pour échapper à la foule ayant vu le miracle

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La première partie Jean 6:1-4

 

+1a μετα ταυτα                          απηλθεν                                 ο ιησους                         

+1b περαν της θαλασσης       της γαλιλαιας                       της τιβεριαδος

 

2a και       ηκολουθει                αυτω                                        οχλος πολυς

2b οτι       εωρων                        αυτου                                      τα σημεια

2c α           εποιει                         επι των ασθενουντων

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+3a ανηλθεν δε                          εις το ορος                            ο ιησους

+3b και εκει   εκαθητο              μετα των μαθητων              αυτου

 

4a ην δε   εγγυς                          το πασχα            

4b η εορτη                                   των ιουδαιων

 

 

 

+1a Après cela                             parti                                         Jésus                          

+1b au delà de la mer              de Galilée,                             de Tibériade.

 

2a Et  suivi                                  lui                                              une grande foule

2b car ils avaient vu                  de lui                                        les signes

2c qu’il a fait                                sur les malades

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+3a Monta                                    vers la montagne                Jésus

+3b Et là s’assis                            avec les disciples                de lui

 

4a Etait proche                          la pâque       

4b la fête                                     des juifs

 

 

La partie est composée de deux morceaux, chacun ayant deux segments. Le verbe "ηλθεν" (ap-ηλθεν partir et an-ηλθεν monter) et son sujet Jésus servent de termes initiaux aux deux morceaux. Jésus voyage, "à travers la mer" dans le premier morceau, puis "sur la montagne" dans le second. Les deuxièmes segments décrivent la foule le suivant, d’abord dans une vue générale d’une foule cherchant "des signes", cette foule se révèle dans le second morceau être plus spécifiquement "des juifs" préparant "la pâque". Il semble y avoir un rapport entre les signes qu’ils cherchent et la fête pour laquelle ils se préparent, ainsi qu’une référence discrète à l’Exode dans le mouvement décrit au-dessus.

 

Contexte Johannique

C’était tout d’abord à Cana en Galilée que Jésus fait un miracle (2.11) en apportant du vin. Celui-ci sera suivi d’autres non spécifiés à la fête de pâque à Jérusalem (2.23). Le peuple demandait déjà ces signes et croyait à cause d’eux. Ce sont ces miracles qui amènent à croire qu’il vient de Dieu. Entre ces deux miracles du second chapitre nous avions une double référence au temple, que Jésus nettoie, puis utilise comme une allégorie de lui-même.

 

La mer de Galilée

Cette mer est citée dans les Nombres, le Deutéronome et Joshua comme une frontière de la terre promise. Dans les synoptiques, c’est là que Jésus rencontre Simon et André sur leur bateau (Mathieu 4.18, Mark 1.14-18, Luc 5.3). Dans l’Evangile de Luc, quand Jésus rencontre Simon sur son bateau, il accompli un miracle et ils attrapent un grand nombre de poissons. Les synoptiques utilisent le même endroit quand Jésus se retire après la mort de Jean le Baptiste et nourrit les 5.000 comme ici (Mathieu 14, Marc 6). La montagne et la mer font un cadre intéressant en rapport à la pâque.

 

Interprétation

Cette première partie établie le contexte spatio-temporel, qui annonce aussi bien les personnages de notre passage que le contexte biblique. La mer, lieu des histoires de bateau dans les synoptiques prépare également le lien avec deux passages de Jean lié au notre : le prochain passage, où les disciples traversent une tempête et le passage à la fin de l’Evangile de Jean, où Jésus partage également un repas avec ses disciples.

 

Deuxième partieJean 6:5-7

 

+5a επαρας ουν              ο ιησους                    τους οφθαλμους

+5b και θεασαμενος          

+5c οτι πολυς                   οχλος                          ερχεται                      προς αυτον

 

5d                                                           λεγει                           προς τον φιλιππον

5e ποθεν                    αγορασομεν           αρτους

5f  ινα                                φαγωσιν             ουτοι

 

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=6a  τουτο δε                   ελεγεν                 πειραζων                   αυτον

=6b αυτος γαρ                 ηδει                      τι εμελλεν                  ποιειν

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7a απεκριθη                         αυτω                     φιλιππος

7b διακοσιων δηναριων                                  αρτοι                                 ουκ αρκουσιν         αυτοις

7c ινα                                 εκαστος               αυτων                               βραχυ                         τι λαβη

 

 

 

+5a Levant                         Jésus                          les yeux

+5b et voyant            

+5c quune foule             nombreuse              venait             à lui

 

5d dit                                 vers Philippe

5e Combien                    devons-nous acheter de pains

5f  pour                             nourrir                       eux

 

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=6a   tout cela            il dit                     testant                        lui

=6b   car                       il savait                ce qu’il allait             faire

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7a répondit                     à lui                       Philippe

7b deux cents dinars                                  de pains                          ne suffira pas          à eux

7c pour que                     chacun                 d’eux                                 un peu                        reçoive                     

 

 

La deuxième partie est composée de trois morceaux organisés sous une forme concentrique ABA’. L’indéfini "foule" fait inclusion avec le particulier "chacun d’eux". "200 dinars de pains" fait écho à la question de Jésus "combien de pains ?", le pain servant de terme final aux deux morceaux externes. Nous retrouvons dans chaque morceau un verbe de locution associé à Philippe, qui font la structure de la partie : Jésus pose à l’apôtre une question, que l’on apprend être un test, une question piège. Philippe y répond, voyant le besoin et pensant à chacun d’eux, mais sans trouver la réponse.

 

La partie centrale est un commentaire du narrateur omniscient, qui donne le ton de la partie, Jésus sait ce qu’il va faire, il propose un test, le lecteur est ainsi placé en face de l’énigme, aux côtés de Philippe.

 

Contexte Johannique

Philippe est lié à André et Simon, que nous introduisions dans la première partie : il vient du même village, en Galilée.

 

"Afin de le tester" apparaît également en Jean 8, quand les sadducéens et les pharisiens interrogent Jésus à propos de la femme adultère.

 

Combien de pains devons-nous acheter ?

 

La question de Jésus n’est pas posée au hasard. C’est une reprise de la question de Moïse, dans le 11e chapitre des Nombres : "13 Où trouverais-je de la viande à donner à tout ce peuple ? Quand ils m’obsèdent de leurs larmes en disant : Donne-nous de la viande à manger. 14 Je ne puis, à moi seul, porter tout ce peuple : c’est trop lourd pour moi. 15 (…) 21 Moïse dit : "Le peuple où je suis compte 600.000 hommes de pied, et tu dis : Je leur donnerai de la viande à manger pendant tout un mois ! 22 Si l’on égorgeait pour eux petit et gros bétail, en auraient-ils assez ? Si l’on ramassait pour eux tous les poissons de la mer, en auraient-ils assez ?" La réponse de Philippe reprend la dernière question de Moïse.

 

Dans le contexte de l’Exode évoqué précédemment, Jésus pose à Philippe une question qu’il devrait connaître. Ce n’est pas simplement une question sur sa foi, c’est une question juive sur le récit de l’Exode, en préparation de la pâque qui vient. Cette question entre aussi dans le contexte plus large du parallèle fait par Jean entre son récit et celui de l’Exode, et de la comparaison entre Moïse et Jésus. Ainsi Jésus est dans une situation où il doit faire face au même problème que Moïse avant lui. [1]

 

Interprétation

 

Cette seconde partie est en continuité avec le contexte établie dans la première, dans l’apparition de Philippe, et dans une question à propos de l’Exode, typique, voir même traditionnelle, dans le contexte de la pâque juive. Cette question à propos de la nourriture est aussi critique à l’existence des hommes en tant qu’êtres vivants. Il ne s’agit donc pas simplement d’une question rhétorique, ils vivent ici, dans la montagne, une situation similaire à celle des tribus dans le désert : il faut se nourrir. Jésus, comprenant la situation, interroge son disciple. C’est une question pédagogique, il veut lui enseigner, à travers l’histoire juive, qui il est.

 

 

La troisième partie

 

+8a λεγει              αυτω                     εις εκ των μαθητων     αυτου     

+8b ανδρεας       ο αδελφος          σιμωνος                           πετρου

 

9a εστιν               παιδαριον          εν ωδε

9b ο εχει              πεντε                    αρτους                              κριθινους

9c και                    δυο                       οψαρια

 

9d αλλα ταυτα τι εστιν                εις τοσουτους

 

 

 

+8a dit                    à lui                       des disciples                   de lui

+8b André             le frère                 de Simon                          Pierre

 

9a il y a                un garçon     ici

9b qui a                cinq                       pains petits

9c et                      deux                     poissons

 

9d Mais celà       qu’est-ce             pour tant de gens  

 

 

La troisième partie est composée d’un seul morceau de trois segments. L’ensemble est délimité par l’inclusion faîte par “εις εκ των μαθητων” et " εις τοσουτους ". Ce parallèle repose sur l’assonance entre "eis, un" et "eis, pour", ainsi que sur l’opposition entre "ek, de (des)" et "eis, vers (pour)", établissant un parallèle entre les disciples et la foule, comme dans la première partie. Le premier segment nous présente l’apôtre André, que notre lecteur attend déjà. Le terme "disciple" dans le premier membre est en parallèle avec les noms des apôtres dans le second. Dans le second segment, nous avons la réponse d’André à la question de Jésus, en trois membres : un enfant, des pains et deux poissons. Alors que le second segment fait une description précise (un, cinq, deux), le dernier segment reprend les mêmes sujets dans des termes plus généraux : "cela", "tant". André, à l’inverse de Philippe, ne regarde pas à ce dont ils ont besoin, mais à ce qu’ils ont.  Il voit l’un d’eux, quand Philippe voyait chacun d’entre eux. Andrée trouve un début de réponse, nous allons voir que la remarque sur l’enfant est aussi une réponse appuyée sur l’histoire des fils d’Israël, mais pas la solution, il reprend la question de Moïse, est-ce assez ?

 

Contexte Johannique

Nous avons ici, après Philippe, les deux autres apôtres liés à la Galilée. André et Simon faisaient partie des disciples de Jean le Baptiste, qui leur indiqua Jésus comme "l’agneau de Dieu" (1.35-41), autre allégorie utilisant la nourriture. Simon est celui qui confessera que Jésus est le Messie, à la fin du chapitre. Nous le rencontrerons encore, pêchant sur son bateau, et partageant du pain et du poisson avec Jésus, à la fin de l’évangile. Jésus lui demandera de "nourrir ses brebis" (21.16).

 

Qu’est-ce pour tant de gens ?

Nous avons ici une référence à Simon, qui donne une très bonne réponse à une autre question de Jésus. Dans les synoptiques, c’est lui qui répond à la question "qui dîtes-vous que je suis ?’ par "Tu es le Christ, le fils du Dieu vivant". (Mathieu 16.16, Marc 8.27, Luc 9.20). Ici son frère répond à Jésus sur sa question pascale à propos de l’Exode. Il répond par un texte, et comme la réponse de Simon, cette réponse qualifie Jésus. Dans le 4e chapitre du second Livre des Rois, Elishah accomplit des miracles et vient en aide à des populations en besoin, notamment en leur apportant à manger. Le dernier épisode (2 Rois 4:38-44), se termine ainsi : "42 Un homme vint de Baal-Shalisha et apporta à l’homme de Dieu du pain de prémices, vingt pains d’orges issus des premières graines. Celui-ci ordonna : "Offre aux gens et qu’ils mangent", 43 mais son serviteur répondit : "Comment servirai-je cela à cent personnes ?" Il reprit : "Offre aux gens et qu’ils mangent, car ainsi a parlé YHWH : On mangera et on en aura de reste." 44 Il leur servit, ils mangèrent et en eurent de reste, selon la parole de YHWH." Notons, les premiers grains, références pascales, et "on aura du reste", qui prépare la partie suivante de notre texte. La question d’André est une citation, presque textuelle, de la question du servant d’Elishah dans le Livre des Rois.

 

A travers la réponse d’André, Jean nous donne une référence à Elishah nourrissant les fils des prophètes. En répondant à la citation de l’Exode faite par Jésus par celle du Livre des Rois, André répond pleinement à la question, non seulement c’est Jésus qui va nourrir la foule, mais aussi, il lui attribue un parallèle avec Elishah, qui vient après Elie pour combattre les cultes religieux en Israël et nourrir les fils des prophètes, le « reste » d’Israël, dans la famine. Ainsi, nous verrons par la suite que la première partie de l’histoire, et ses herbes amères a aussi un lien avec notre passage.

 

Interprétation

La réponse d’André est loin d’être incomplète comme elle l’apparait à première vue. Il trouve la réponse de l’énigme, et reconnait, comme son frère cité ici, un rôle particulier à Jésus. Le lien qu’il donne complète le contexte biblique du passage. Cette partie, remplit parfaitement son rôle central, par une simple question qui introduit un nouvel élément, qui sera le pivot de notre passage.

 

 

 

 

Quatrième partie – Jean 6.10-13

 

+10a     ειπεν δε                           ο ιησους

+10b     ποιησατε                         τους ανθρωπους          αναπεσειν

 

10c       ην δε                                  χορτος                               πολυς                   εν τω τοπω

 

=10d     ανεπεσον     ουν           οι ανδρες                         τον αριθμον       ωσει πεντακισχιλιοι

 

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+11a     ελαβεν δε                 τους αρτους                   ο ιησους

+11b     και                                ευχαριστησας

 

=11c      διεδωκεν                  τοις μαθηταις

=11d        οι δε μαθηται         τοις ανακειμενοις       ομοιως

 

::11e     και εκ των οψαριων         

::11f      οσον                           ηθελον

 

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+12a ως δε                                           ενεπλησθησαν

+12b λεγει                                             τοις μαθηταις                      αυτου

 

=12c συναγαγετε                               τα περισσευσαντα            κλασματα

=12d ινα                                                μη τι αποληται

 

=13a συνηγαγον       ουν

=13b και εγεμισαν                             δωδεκα                                   κοφινους                   κλασματων

=13c εκ των πεντε                                  αρτων                                        των κριθινων                α επερισσευσεν           τοις βεβρωκοσιν

 

 

 

 

 

 

 

 

+10a     Dit ensuite                      Jésus

+10b     faites                                 les hommes                    s’assoir

  

10c       il y avait                            de l’herbe                        nombreuse        en ce lieu

 

=10d     s’assirent donc              les hommes                    leur nombre       environ cinq mille

 

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+11a     prit                              les pains                           Jésus

+11b     et                                 rendant grâce

 

=11c      distribua                    aux disciples

=11d        et les disciples       à ceux qui étaient assis     de même       

 

::11e     Et des                         poissons       

::11f      autant                        qu’ils en voulurent

 

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+12a     Quand                                     ils fûrent rassasiés

+12b     Il dit                                         aux disciples                  de lui

 

=12c      rassemblez                           le reste                             des morceaux

=12d     afin que                                  rien ne se perde

 

=13a     ils les rassemblèrent donc

=13b     et remplirent                        douze coffins                  des morceaux  

=13c      depuis                                     les cinq pains                 les petits                   qui restèrent           à ceux ayant mangés

 

 

La quatrième partie est composée de 3 morceaux de 3 segments chacun. La mention des personnes fait inclusion de la partie, "les hommes" devenant "ceux ayant mangé" dans la dernière partie, ils apparaissent également dans la seconde, "ceux qui étaient assis". Le chiffre 5 est un terme final, commun aux deux morceaux externes, que l’on retrouve dans les cinq mille du premier morceau et les cinq pains du dernier. Le verbe dire est un terme initial entre les deux morceaux externes, Jésus en est le sujet, de même que du verbe " ευχαριστησας", rendre grâce dans la partie centrale. Chaque partie commence ainsi par une parole de Jésus, à l’origine de l’action qui suit. Jésus ordonne aux apôtres dans les deux parties externes, et remercie Dieu dans la partie centrale. Les deux parties externes sont construites autour de l’ordre de Jésus : "faites-les assoir" et "rassemblez les restes". La nourriture est distribuée au centre de la partie.

 

Dans le premier morceau, quand il demande à les "faire assoir", c’est comme si Jésus invitait la foule. Deux synonymes désignant les hommes (ανθρωπους, ανδρες) font inclusion, accompagnés du verbe s’assoir. Au centre, le cadre du décor, "l’herbe nombreuse", qui pourrait être une allégorie à propos de la foule, avec la reprise de πολυς[2]. Mais aussi un propos de l’abondance de nourriture et une discrète allusion à la manne, verte que l’on ramasse par terre.

 

Dans le dernier morceau, nous avons trois segments dans une construction ABB’. Le premier segment fait la connexion avec le reste de la partie, les deux derniers sont plus spécifiques. Leur symétrie est organisée autour de la récurrence de "assembler", "les morceaux" "qui restent". Jésus rajoute "afin que rien ne se perde". Nous finissons ici la prophétie "ils mangeront et auront du reste" citées en 2 Rois 4:43, avec une ouverture sur "les douze paniers" dans lesquels l’on gardera "le reste".

 

Dans le morceau central, le pain et les poissons font inclusion. Jésus ne donne pas d’ordre mais agit, en distribuant la nourriture. Le verbe d’action "distribuer" occupe le segment central et n’est pas repris, à l’inverse de deux morceaux externes ou le verbe d’action est redoublé, dans les segments externes. Le verbe de parole est différent en nature des deux autres verbes, il ne s’agit plus de "dire" mais de "rendre grâce", c’est-à-dire de remercier Dieu, qui n’est pas mentionné dans notre passage, mais invité lui aussi par ces mots de Jésus, et présent par le miracle accompli.

 

Rendre Grâce

 

Le verbe "rendre grâce" est utilisé trois fois dans l’Evangile de Jean. Deux fois à propos de l’histoire des 5.000 et une fois après que Lazare soit ressuscité, quand Jésus dit en Jean 11 "Père, je te rends grâces de m’avoir écouté. 42 Je savais que tu m’écoutes toujours ; mais c’est à cause de la foule qui m’entoure que j’ai parlé, afin qu’ils croient que tu m’as envoyé." L’action est aussi liée au signe accomplit devant les gens. Jésus, en se tournant vers Dieu, espère amener les gens à croire en Lui, pas seulement à manger et trouver des signes. On retrouve un morceau semblable à la fin de l’évangile, où la finalité n’est plus le pain seulement, mais la vie : Jean 17, « 1 Ainsi parla Jésus, et levant les yeux au ciel, il dit : "Père, l’heure est venue : glorifie ton Fils, afin que ton Fils te glorifie 2 et que, selon le pouvoir que tu lui as donné sur toute chair, il donne la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés !  3 Or, la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ.". Ainsi ces signes accomplis attestent que Jésus est envoyé par Dieu, afin qu’ils croient et reçoivent la vie éternelle. Ces pains et l’actions de rendre grâce préparent la fin de la séquence, en particulier le difficile Jean 6.51 : "Je suis le pain vivant, descendu du ciel. Qui mangera ce pain vivra à jamais. Et même, le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde ". Les signes ont donc uniquement pour but de tourner les gens vers Dieu, dont la connaissance est la vie éternelle. La vraie nourriture, celle qui fait vivre, passe donc le messager. Jésus ici est le message, la parole de Dieu, allégoriquement l’agneau ou le pain, la manne céleste qui amène les gens vers Dieu, et il annonce en 6.51 la nécessité de sa mort que le message soit complet.

 

Rassembler les restes

 

Jésus invite ceux qui l’ont suivi sur la montagne et les rassemble pour manger sur l’herbe. Il demande à ses disciples de "rassembler le reste" dans "12 paniers". Si nous lisons un peu plus loin dans le texte, nous trouvons une autre occurrence de cette attention particulière : Jean 6.37 " Tout ce que me donne le Père viendra à moi, et celui qui vient à moi, je ne le jetterai pas dehors", qui dénote la même volonté de ne rien perdre. Le parallèle avec la fin de l’évangile, où nous retrouverons Simon et André, à qui Jésus demandera de "nourrir mes brebis", nous ramène en mémoire ce verset de Mathieu : 4.19 "Suivez-moi et, je vous ferais pêcheurs d’hommes". Comment ne pas lire dans ce "rassembler les restes" une invitation à rassembler les hommes ? En effet le mot grec utilisé ici, "synagô" semble préfigurer "ekklesia", ces deux mots grecs sont plus ou moins interchangeable pour traduire le même hébreu "qahal" "assembler", ces deux mots qui finissent par signifier le lieu où l’on se rassemble, la synagogue et l’église.

 

L’intérêt pour les morceaux qui restent nous rappelle également l’hébreu "char", le reste d’Israël, annoncé par les prophètes. Ainsi nous lisons chez Jérémie : 50, 19 Et je vais ramener Israël à son pacage pour qu’il paisse au Carmel et en Bashân; sur la montagne d’Ephraïm et en Galaad, il sera rassasié. 20 En ces jours et en ce temps — oracle de Yahvé — on cherchera l’iniquité d’Israël : elle ne sera plus ; les péchés de Juda : on ne les trouvera plus ; car je pardonnerai au reste que je laisse." Paul également cite ce reste en Romain 11, en faisant référence au texte des Rois : Je me suis réservé 7.000 hommes qui n’ont pas fléchi le genou devant Baal. 5 Ainsi pareillement aujourd’hui il subsiste un reste, élu par grâce…" Ainsi au temps de l’iniquité que combattait le prophète Elie, Dieu annonce s’être réservé un reste parmi les tribus d’Israël, duquel sont les fils des prophètes nourrit plus tard par Elishah. Est-ce ce reste que Jésus trouve sur la montagne et demande à rassembler ? [3]

 

Interprétation

 

Jésus répond à la foi de ceux qui l’ont suivi jusqu’à la montagne, et les invite à manger. A travers cette distribution de pain très allégorique, Jésus les invite à reconnaître Dieu, et lui-même comme Son envoyé. Il invite les apôtres à rassembler le reste d’Israël, qui doit être sauvé. Ce "reste" annoncé par les prophètes trouve son accomplissement dans les cinq mille qui suivent Jésus. Rassembler le reste des fils d’Israël construit la figure du Messie, qui invite les apôtres à construire l’église qui vient sur ce reste, ce qui semble préfigurer son conseil à la fin de l’évangile : "lancez le filet du côté droit du bateau, et vous trouverez" (Jean 21.6).

 

 

La cinquième partie

 

+14a οι ουν ανθρωποι               ιδοντες                      

+14b ο εποιησεν                          σημειον                      ο ιησους      

 

+14c ελεγον                                  

::14c οτι ουτος                              εστιν αληθως           ο προφητης

=14d ο ερχομενος                       εις τον κοσμον

 

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+15a ιησους ουν                          γνους

+15b οτι μελλουσιν                    ερχεσθαι

 

::15c και αρπαζειν                      αυτον            

::15d ινα ποιησωσιν                   αυτον                          βασιλεα

 

=15e ανεχωρησεν                       εις το ορος                αυτος μονος

 

 

 

+14a les hommes                        ayant vu

+14b accomplissant                   le signe                       Jésus

 

+14c dirent                                   

::14c Celui-là                                 est le véritable        prophète

=14d Celui qui vient                          vers le monde

 

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+15a Alors Jésus                          sachant

+15b que bientôt                         ils allaient venir

 

::15c et attraper                          lui

::15d pour faire                            lui                                 roi

 

=15e se retira                                vers la montagne   lui seul

 

 

La cinquième partie montre en deux morceaux comment la réaction de la foule provoque le départ de Jésus. L’opposition entre les verbes "ayant vu" et "sachant" sert de terme initial aux deux morceaux. Ils introduisent ce que la foule d’abord, puis Jésus, perçoivent de la situation. Puis les projections respectives qu’ils s’en font. A la supposition que Jésus "vienne vers le monde" fait écho le départ de celui-ci "vers la montagne", les deux servant de termes finaux. Les deux titres, prophète et roi, donnés par la foule, sont une réponse aux "signes" : la répétition de deux formes du verbe faire (εποιησεν, ποιησωσιν) établit un parallèle entre les signes accomplis par Jésus et la foule qui veut le faire roi.[4]

 

Dans le premier morceau, la foule fait un lien entre le "signe" opéré et la "vérité" de la mission prophétique. Comme Thomas, ils croient ce qu’ils voient. Sans forcément comprendre le sens indiqué par le signe, ils n’y voient qu’un symbole, le signe qui devait les faire réfléchir sur ce qui est en jeu n’est plus qu’une preuve de la véracité de Jésus. La seconde partie tourne autour de 3 verbes de mouvement, un dans chaque segment, venir, attraper et se retirer. Comme eux projetaient leur compréhension de Jésus, lui anticipe sur ce qu’ils vont faire, non de ce qu’il voit, mais de ce qu’il comprend de la situation. L’opposition entre "ayant vu" et "sachant" trouve sens en ceci que Jésus, à la différence de la foule, est capable d’interpréter ce qu’il voit, il comprend le sens. "Se retirer" est l’inverse de "venir" et les deux termes font inclusion. Au centre "attraper" est presque violent, et l’histoire biblique nous enseigne qu’il n’y a qu’une simple ligne entre une foule qui vous fait roi ou qui vous tue.

 

Pour le faire roi

Quand il sera confronté à Pilate, Jésus lui dira que "son royaume n’est pas de ce monde". Ce passage semble confirmer ce point. Quand le peuple dit qu’il vient "vers le monde", il semble ne pas comprendre l’antinomie entre ce monde et Jésus, que ce dernier développera plus tard à ses disciples. Il ne vient pas pour se faire roi, et nous pouvons faire ici une connexion avec les tentations de l’évangile de Mathieu, car Jésus réitère son rejet de la royauté. Même s’il a apporté du pain cette fois-ci, mais pas pour lui-même.

 

Interprétation

Nous avons vu dans la partie précédente que Jésus vient pour rassembler son peuple, mais cette invitation ne semble pas être pour le royaume terrestre qu’ils attendent. Bien que Jésus semble les inviter déjà dans son royaume. Le jeu de mouvement que l’on observe ressemble à du théâtre, "fuis-moi je te suis, suis-moi je te fuis", très girardien encore. Certes Jésus les fuit parce qu’ils se méprennent sur le sens de ce qui se passe, mais sa fuite pourrait aussi être une incitation à le suivre encore, vers la montagne, vers Celui qui l’a envoyé. Les apôtres dans la partie suivante traverseront la mer à la recherche de Jésus.

 

Le commencement d’un royaume ici dans le monde, casserait ce mouvement qu’il lance vers un royaume céleste. Il préfère les confier tous à ses apôtres, qui ont pour mission non seulement de les rassembler et de les garder, mais aussi de construire l’« église », la communauté chrétienne dont la formation est mise en route ici, en rassemblant le reste d’Israël.

 

 

 

 

 

 

The whole passage

1a μετα ταυτα απηλθεν ο ιησους 1b περαν της θαλασσης της γαλιλαιας της τιβεριαδος 2a και  ηκολουθει αυτω οχλος πολυς 2b οτι εωρων αυτου τα σημεια 2c α εποιει επι των ασθενουντων

 

3a ανηλθεν δε εις το ορος ο ιησους 3b και εκει εκαθητο μετα των μαθητων αυτου 4a ην δε εγγυς το πασχα 4b η εορτη των ιουδαιων

 

5a επαρας ουν ο ιησους τους οφθαλμους 5b και θεασαμενος 5c οτι πολυς οχλος ερχεται προς αυτον

5d  λεγει προς τον φιλιππον  5e ποθεν αγορασομεν αρτους 5f  ινα φαγωσιν ουτοι

 

6a  τουτο δε ελεγεν πειραζων αυτον 6b αυτος γαρ ηδει τι εμελλεν ποιειν

 

7a απεκριθη αυτω φιλιππος 7b διακοσιων δηναριων αρτοι  ουκ αρκουσιν αυτοις 7c ινα εκαστος αυτων βραχυ τι λαβη

 

8a λεγει αυτω εις εκ των μαθητων αυτου 8b ανδρεας ο αδελφος σιμωνοςπετρου

9a εστιν παιδαριον εν ωδε 9b ο εχει πεντε αρτους κριθινους 9c και δυο οψαρια

9d αλλα ταυτα τι εστιν εις τοσουτους

 

10a ειπεν δε ο ιησους 10b ποιησατε τους ανθρωπους αναπεσειν 10c ην δε χορτος πολυς εν τω τοπω 10d ανεπεσον ουν οι ανδρες τον αριθμον ωσει πεντακισχιλιοι

 

11a ελαβεν δε τους αρτους ο ιησους 11b και ευχαριστησας 11c διεδωκεν τοις μαθηταις 11d οι δε μαθηται τοις ανακειμενοις  11e ομοιως και εκ των οψαριων 11f  οσον ηθελον

 

12a ως δε ενεπλησθησαν 12b λεγει τοις μαθηταις αυτου 12c συναγαγετε τα περισσευσαντα κλασματα 12d ινα μη τι αποληται 13a συνηγαγον ουν 13b και εγεμισαν δωδεκα κοφινους κλασματων 13c εκ των πεντε αρτων των κριθινων α επερισσευσεν τοις βεβρωκοσιν

 

14a οι ουν ανθρωποι ιδοντες 14b ο εποιησεν σημειον ο ιησους 14c ελεγον 14c οτι ουτος εστιν αληθως ο προφητης 14d ο ερχομενος εις τον κοσμον

 

15a ιησους ουν γνους 15b οτι μελλουσιν ερχεσθαι 15c και αρπαζειν αυτον 15d ινα ποιησωσιν αυτον βασιλεα 15e ανεχωρησεν εις το ορος αυτος μονος

 

 

 

1 Après cela, Jésus parti au-delà de la mer de Galilée, de Tibériade. 2 Et le suivi une grande foule, qui avait vu les signes qu’il avait fait sur les malades.

 

3 Jésus monta vers la montagne, et là s’assis avec ses disciples, 4 alors que se rapprochait la pâque, la fête des juifs

 

5 Jésus levant les yeux et voyant qu’une foule nombreuse venait à lui, dit vers Philippe : combien devons-nous acheter de pains pour les nourrir ?

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6 Il dit tout cela pour le tester, car il savait ce qu’il allait faire

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 7 Philippe lui répondit : "deux cents dinars de pains ne suffiront pas à ce que chacun d’eux reçoive un peu."

 

8 Lui dit son disciple André, le frère de Simon Pierre :

9 "il y a ici un garçon qui a cinq pains petits et deux poissons, mais cela qu’est-ce pour tant de gens ?"

 

10 Jésus dit ensuite : "faites s’assoir les hommes", car il y avait de l’herbe nombreuse en ce lieu. Ils s’assirent donc , ils étaient environ cinq mille.

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11 Jésus prit les pains Jésus et, rendant grâce, les distribua aux disciples, puis les disciples de même à ceux qui étaient assis. Et des poissons autant qu’ils en voulurent

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12 Quand ils fûrent rassasiés, Il dit à ses disciples : "rassemblez le reste des morceaux, afin que rien ne se perde."

13 ils les rassemblèrent donc et remplirent douze coffins avec les morceaux des cinq petits pains, de ceux qui restèrent à ceux qui avaient mangé.

 

14 les hommes, ayant vu le signe accomplit par Jésus, dirent celui-là est le véritable prophète, celui qui vient vers le monde

 

15 Alors Jésus, sachant que bientôt ils allaient venir l’attraper pour le faire roi, se retira seul vers la montagne.

 

 

Le passage est composé de 5 parties, dans une construction concentrique.

 

Les deux parties externes sont emmenées par les verbes de mouvement et leur destination. L’arrivée à, puis le départ du décor de ce passage se font vers la même direction : "vers la montagne" (3a, 15c). Le point important dans ces deux parties est l’accomplissement d’un signe, qui était très attendu. La "foule nombreuse" devient à travers ce signe des "humains", et Jésus quitte tout le monde pour "être seul".

 

Dans les trois parties centrales nous avons des verbes de locution, qui établissent la relation entre Jésus et ses disciples, qui sont au centre de son attention. Après la question de Jésus "combien de pains ?", le dialogue établit est à propos de nombre et de nourriture. D’une question dans la seconde partie, on passe à un ordre dans la quatrième, après la proposition d’une solution par André dans la partie centrale. C’est bien d’un processus pédagogique qu’il s’agit : question de l’enseignant, réponse des élèves, conclusion de l’enseignant. Jésus d’ailleurs ne se contente pas de parler, il "fait" (poiein v.6 et v.10) : il donne l’exemple pour que ses disciples l’imitent (v.11). Il enseigne à ses disciples à prendre soin de son peuple, qui passe d’une foule rassasiée à des humains bien nourris. Les nombre, une question et 200 hypothétiques dinars deviennent 7 éléments dans la partie centrale donnés à 5000 personnes. Ce qui permettra aux disciples de remplir 12 paniers.

 

Les signes, Elie et Elishah.

 

Le contexte des termes « signes » dans l’Evangile de Jean commence par le nettoyage du temple. Elie et Elishah nettoyaient également le peuple d’Israël et gardaient un reste de 7000 personnes. Ils nourrissaient également le peuple dans un contexte de famine. Nous avons vu que la nourriture donnée aux 5000 ici renvoie à celle donnée au 7000 par Elishah.

 

Le contexte biblique introduit dans la partie centrale donne un mouvement historique : des 12 tribues perdues dans le désert, un reste est entretenu par les prophètes dans le royaume, que Jésus appel à rassembler ici sur la montagne.[5] Moïse et Elishah sont présentés comme des modèles, des précédents, pour le Jésus de son Evangile.

 

Critique des pharisiens

 

Il faut aussi rappeler le large chaudron de 2 Rois 4:38-41 qui précède directement le don de nourriture. Il y avait des herbes sauvages ajoutées au chaudron, qui rendait son contenu amer et empoisonné. L’ajout de farine par Elishah le rend à nouveau comestible. Il semblerait y avoir un indice pour comprendre la question posée dans les synoptiques : "Mt 16:9 Vous ne comprenez pas encore ? Vous ne vous rappelez pas les cinq pains pour les cinq mille hommes, et le nombre de couffins que vous en avez retirés ? 10 ni les sept pains pour les quatre mille hommes, et le nombre de corbeilles que vous en avez retirées ?  11 Comment ne comprenez-vous pas que ma parole ne visait pas des pains ? Méfiez-vous, dis-je, du levain des Pharisiens et des Sadducéens ! " Comment ces 12 paniers pourraient être liés à l’enseignement des saducéens ? Il est difficile de répondre sans passer par le texte des Rois. Si les douze paniers font références au reste des douze tribus qu’ils ont rassemblé sur la montagne, il se pourrait bien que le levain des pharisiens fasse écho à l’herbe sauvage qui avait été ajoutée à la marmite. Jean, en faisant référence à la dernière partie de 2 Rois 4:38-44 quand Elishah qui nourrit le peuple, nous invite à la lire avec sa première partie (2Rois 4:38-41).

 

Jean, dans les signes qu’il présente, est très critiques des enseignements de son époque. Il pourrait insinuer que Jésus en distribuant le pain sur la montagne, rend la Torah accessible à nouveau, malgré l’enseignement des religieux, comme la farine ajoutée dans la marmite. Ainsi il préparerait l’opposition extrêmement violente entre Jésus et les pharisiens et saducéens dans la séquence qui suit en les comparants implicitement avec les israéliens idolâtres de l’époque d’Elie et Elishah.[6]

 

Contexte Johannique

Comme nous l’avons remarqué auparavant, ce passage prend place dans un long parallèle avec l’Exode, et une comparaison entre Moïse et Jésus.

 

"6. τουτο δε ελεγεν πειραζων αυτον" nous renvoie deux chapitres plus loin, avec exactement la même phrase en Jean 8.6, quand la pharisiens et les saducéens testent Jésus sur sa compréhension de la Torah. Alors qu’ici Jésus distribue du pain, et enseigne ses apôtres en prévision d’un futur royaume céleste, ils préféreront proposer de lancer des pierres pour conforter leur royaume terrestre sur les histoires du passé.[7]

 

Ceci étant dit, le principal parallèle que nous avons trouvé est celui entre ce passage et le tout dernier de l’évangile, quand Jésus rencontre ses apôtres à nouveau, partage avec eux du pain et des poissons, et leur demande "paître ses brebis".

 

Contexte synoptique

Cet épisode est le seul miracle donné dans les 4 évangiles, et nous le retrouvons en Mathieu 14.21, Marc 6.39 et Luc 9.14. Cependant les synoptiques n’en donnent qu’une courte version. Les détails sont cependant les mêmes qu’ici, il y a autant de gens, de poissons, etc… Le contexte change un peu, car ils précisent que Jésus fuient le monde, de par sa peine après la mort de Jean le Baptiste. C’est ensuite par compassion qu’il nourrit celui qui l’ont suivi, et le fait à la requête des disciples. Comme nous l’avons vu, il leur rappel cette histoire pour faire allusion au levain des pharisiens.

 

Mise à part cette histoire, qui ne prend pas tant d’importance dans les synoptiques, toute la séquence sur le pain, par sa place à la montagne, et son importance au début du dernier évangile, nous rappelle le sermon sur la montagne au début de l’évangile de Mathieu. Si les sujets diffèrent complètement, les deux posent le contexte théologique de leurs respectifs discours finaux de Jésus.

 

Interprétation

Quand Jésus s’échappe à la montagne, il est suivi par une large foule cherchant des signes, qu’il va satisfaire et inviter à s’assoir pour partager un repas. Jésus utilise l’opportunité pour enseigner à ses apôtres, et leur demande de "rassembler les restes", construire à partir de ce peuple l’église à venir.

 

L’histoire est racontée sous le signe de la Pâque qui s’approche, et nous avons vu dans tout le passage des références à l’exode, que cette fête commémore. Les questions bibliques à propos de cette histoire fondatrice, comme celle posée par Jésus à ses disciples, est typique de la tradition juive pour cette fête. La référence implicite à la manne prépare le discours qui suit sur le pain de vie.

 

Nous avons vu qu’il y a également un lien avec des histoires plus tardives, prenant place dans la terre promise, avec des références à Elie et Elishah, dans leur combat contre les fausses religions. On peut voir dans ce prémice de rassemblement du reste des 12 tribus, l’accomplissement d’une promesse messianique annoncée chez les prophètes.

 

Le contexte est pourtant nouveau, et Jésus, dans la montagne, rafraichit la mémoire, la rend vivante et lui donne un autre sens, nouveau. Ce passage prépare l’invitation au royaume des cieux. En utilisant des histoires anciennes, et l’exemple des prophètes, Jean prépare la compréhension de Jésus comme le vrai pain de vie.

 

 



[1] Nous avons trouvé dans "Moses and the Exodus as a major theme in John’s Gospel" une analyse fine et exhaustive de cette longue comparaison au fil de l’Evangile. En ligne : [http://faithbiblechurch.s3.amazonaws.com/wp-content/uploads/2011/09/johntoolkit_mosesarticle.pdf]

[2] . Faut-il y voir une discrète référence à la Genèse et les plantes avec leur grain en elle ?

[3] Selon l’Encyclopédia Universalis : "Reste d’Israël", qui voie la naissance de ce thème chez les prophètes Isaïe, Jérémie, Michée, Sophonie. Lisons en particulier "Si l’Éternel des armées ne nous eût conservé un faible reste, nous serions comme Sodome, nous ressemblerions à Gomorrhe" (Ésaïe 1:9). Nous retiendrons également les exemples à l’époque de Noé ou du jour dernier (Genèse 6:7; Apocalypse 12:9), et l’avertissement de Matthieu 7:13-14. Paul reprend lui 1 Rois 18 "Mais je laisserai en Israël sept mille hommes, tous ceux qui n’ont point fléchi les genoux devant Baal, et dont la bouche ne l’a point baisé" et va jusqu’à en faire un schéma universel d’un reste gardé par Dieu en tout temps.

[4] Car c’est bien là le miracle de la foule que de pouvoir faire les rois, portés aux nus, et les lynchages. On retrouve ici un second parallèle avec la péricope de la femme adultère, dans laquelle à l’inverse Jésus est placé au milieu de la foule par les pharisiens pour être jugé et lapidé. Il nous semble utile de faire référence ici à René Girard qui a bien décrit ces phénomènes de foules et comment ils génèrent les religions primitives. Jésus, qui ne semble pas goûter ces emballements mimétiques, est venu rassembler le reste d’Israël, il refuse de le faire de cette manière. Il semble appeler à autre chose en se retirant. Cf. René Girard, "La Violence et le Sacré".

[5] Si Jean est Elie, alors on peut légitimement à partir de ce passage se poser la question de continuer la parallèle avec Jésus et Elias.

[6] Voir Marie-Béatrice Papasoglou, "La Fin d’un malentendu", in "Cinquième conférence de la RBS", R. Meynet, J. Oniszczuk, eds, à paraître.

[7] Faut-il voir dans ce parallèle une évocation voulue de Mathieu 7:9 "Et qui sera l’homme d’entre vous qui donne une pierre à son fils, s’il lui demande du pain ?", qui comparerait l’enseignement de Jésus à celui des pharisiens ?  Ou encore une seconde références aux tentations dans le désert, pour annoncer le pain de vie ?

collectif pour une conscience active de l'islam