Abraham et les idoles

Nous proposons ici l’analyse rhétorique du passage du Coran où Abraham se confronte à la tradition religieuse de son peuple. La mise en œuvre de cette méthode nous permettra d’interroger en profondeur le Coran sur sa description de la religiosité et l’attitude particulière d’Abraham vis-à-vis de celle-ci. L’intertextualité, fruit sucré de la rhétorique sémitique, nous permettra d’éclaircir certaines formulations et de révéler un parallèle inattendu avec un texte de l’Evangile. Ce premier opus nous permettra d’introduire la quête d’Abraham, mettre à jour le questionnement anthropologique du monothéisme et soulever la question de Dieu.

 

Nous pensons que cette partie représente un passage indépendant, bien qu’il soit nécessaire d’attendre l’étude complète de la sourate afin de s’assurer du découpage, qui pourrait dépasser le verset 70.  Ce texte est traduit ainsi par Hamidullah :

 

21.51. En effet, Nous avons mis auparavant Abraham sur le droit chemin. Et Nous en avions bonne connaissance.

21.52. Quand il dit à son père et à son peuple: « Que sont ces statues auxquelles vous vous attachez? »

21.53. Ils dirent: « Nous avons trouvé nos ancêtres les adorant ».

21.54. Il dit: « Certainement, vous avez été, vous et vos ancêtres, dans un égarement évident ».

21.55. Ils dirent: « Viens-tu à nous avec la vérité ou plaisantes-tu? ».

21.56. Il dit: « Mais votre Seigneur est plutôt le Seigneur des cieux et de la terre, et c’est Lui qui les a créés. Et je suis un de ceux qui en témoignent.

21.57. Et par Allah! Je ruserai certes contre vos idoles une fois que vous serez partis ».

21.58. Il les mit en pièces, hormis [la statue] la plus grande. Peut-être qu’ils reviendraient vers elle.

21.59. Ils dirent: « Qui a fait cela à nos divinités? Il est certes parmi les injustes ».

21.60. (Certains) dirent: « Nous avons entendu un jeune homme médire d’elles; il s’appelle Abraham ».

21.61. Ils dirent: « Amenez-le sous les yeux des gens afin qu’ils puissent témoigner »

21.62. (Alors) ils dirent: « Est-ce toi qui as fait cela à nos divinités, Abraham? »

21.63. Il dit: « C’est la plus grande d’entre elles que voici, qui l’a fait. Demandez-leur donc, si elles peuvent parler ».

21.64. Se ravisant alors, ils se dirent entre eux: « C’est vous qui êtes les vrais injustes ».

21.65. Puis ils firent volte-face et dirent: Tu sais bien que celles-ci ne parlent pas ».

21.66. Il dit: « Adorez-vous donc, en dehors d’Allah, ce qui ne saurait en rien vous être utile ni vous nuire non plus.

21.67. Fi de vous et de ce que vous adorez en dehors d’Allah! Ne raisonnez-vous pas? »

21.68. Ils dirent: « Brûlez-le Secourez vos divinités si vous voulez faire quelque chose (pour elles) ».

21.69. Nous dîmes: « ô feu, sois pour Abraham une fraîcheur salutaire ».

21.70. Ils voulaient ruser contre lui, mais ce sont eux que Nous rendîmes les plus grands perdants.

 

Première partie

 

وَلَقَدْ    آتَيْنَا إِبْرَاهِيمَ رُشْدَهُ   مِن قَبْلُ

وَ        كُنَّا   بِه        عَالِمِينَ

 

Et certes nous avions donné      à ABRAHAM      son chemin        auparavant

Et             nous étions                   de lui                   connaissant

 

Cette courte introduction place notre séquence parmi les autres récits des prophètes. « Nous avions donné » reviens en effet 5 fois successivement dans la sourate pour introduire l’histoire d’un prophète. Remarquons comment la même construction arabe, avec le même sens de don divin est traduite 5 fois différemment en français, alors que la répétition de ce terme est un indice précieux de construction, qui pourrait bien en délimiter les parties.

 

(21:48) Nous avons déjà apporté à Moïse et Aaron le Livre du discernement (la Thora) ainsi qu’une lumière et un rappel pour les gens pieux,

 وَلَقَدْ آتَيْنَا مُوسَىٰ وَهَارُونَ الْفُرْقَانَ وَضِيَاءً وَذِكْرًا لِلْمُتَّقِينَ

(21:51) En effet, Nous avons mis auparavant Abraham sur le droit chemin.

وَلَقَدْ آتَيْنَا إِبْرَاهِيمَ رُشْدَهُ مِنْ قَبْلُ

(21:74) Et Loṭ! Nous lui avons apporté la capacité de juger et le savoir,

 وَلُوطًا آتَيْنَاهُ حُكْمًا وَعِلْمًا

(21:79) Et à chacun Nous donnâmes la faculté de juger et le savoir.

 وَكُلًّا آتَيْنَا حُكْمًا وَعِلْمًا

(21:84) lui rendîmes les siens et autant qu’eux avec eux

 وَآتَيْنَاهُ أَهْلَهُ وَمِثْلَهُم مَّعَهُمْ

 

Pour Abraham, il n’est pas donné un savoir ou un livre, mais un chemin. L’expression interpelle. Son chemin signifie-t-il la façon dont il vit sa vie, une voie en tant que religion ? Dans le texte qui suit, et dont nous allons faire l’analyse, le Coran donne en exemple une histoire du prophète. C’est par ses actions, par une pratique, qu’Abraham est donné en modèle, dans un acte fondateur, ayant pour but d’amener son peuple à réfléchir.

 

La première partie n’est composée que d’un seul segment de deux membres, qui sert d’introduction à tout le passage. Nous trouvons deux membres parallèles, construits autour de verbes dont Allah est le sujet et Abraham l’objet. Ces deux membres sont apposés par parataxe : le lien entre les deux n’est pas explicité, il n’est fait par la lecteur que par leur forme similaire. C’est ensuite parce que la structure est semblable, d’Allah vers Abraham, que nous pouvons observer une différence. Dans le premier Allah agit, il intervient pour Abraham. Dans le second Allah sait à propos d’Abraham. Les verbes qui construisent cette opposition se trouvent aux deux extrémités du morceau : donner et savoir.  Abraham est au centre des deux propositions.

 

Dans un second temps, nous observons une structure en miroir :

      les verbes dont Allah est le sujet sont aux extrémités du passage, la narration en part pour y revenir 

      les termes indiquant le passé sont au centre du passage, on y aboutit pour en repartir, ce passé marque l’origine de l’histoire racontée.

      Abraham est au cœur de chaque morceau, c’est de lui qu’on va parler. Son chemin est mis en valeur par l’absence de vis-à-vis. C’est l’objet principal du morceau. 

 

Et certes Nous avions donné     

                                  à ABRAHAM son chemin (-hu)                  

                                                                                     Auparavant.

 

Et                                                                                 Nous étions    

                                  de lui                                    (-hi)                          

                 Connaissant.

 

La simple superposition des termes se révèle une structure complexe, portant le sens : l’action divine est à l’origine de l’histoire qui se produit, elle a pour objet Abraham, et particulièrement « son chemin » terme énigmatique, qui ressort de l’ensemble.

 

La parataxe laisse au lecteur la possibilité de faire lui-même le lien entre ces deux membres. Le premier indique Allah et ce moment passé du don comme l’origine du chemin, de l’histoire d’Abraham. Le second donne une autre origine : la connaissance préalable qu’avait Allah d’Abraham. Par la mise en opposition de ces deux propositions, une tension est créée à propos de l’origine de ce qui va suivre. Que le lecteur est invité à résoudre par lui-même. Comme dans d’autre passages du Coran, il y a un parallèle entre la volonté divine et son accomplissement ainsi dans la sourate YaSin « Nous faisons sortir d’elle des grains » puis plus loin « de ce que la terre fait pousser ». Il n’y a que l’apparence d’un paradoxe, le texte propose au lecteur de suivre un chemin entre les deux propositions : C’est Allah qui a dessiné le chemin pour Abraham, et c’est connaissant Abraham qu’il lui a proposé ce chemin.

 

Deuxième partie

 

Le premier morceau

إِذْ       قَالَ    لِأَبِيهِ وَقَوْمِهِ   

مَا                                                                هَذِهِ التَّمَاثِيلُ

الَّتِي             أَنتُمْ        لَهَا   عَاكِفُونَ

 

       —————————————-             

              قَالُوا  

               وَجَدْنَا آبَاءنَا   لَهَا   عَابِدِينَ

       —————————————-             

 

          قَالَ

لَقَدْ      كُنتُمْ        أَنتُمْ وَآبَاؤُكُمْ                          فِي ضَلَالٍ مُّبِينٍ

 

 

Quand          il dit                     A SON PERE ET A SON PEUPLE

que sont                                                                                            ces semblances (statues) ?

Celles que                                 VOUS                                                les adorez.

 

            ————————————————————————————-

            Ils dirent     

            Nous avons trouvé      NOS PERES                                       les servant

            ————————————————————————————–

 

                       Il dit

Certes           vous êtes            VOUS ET VOS PERES                        dans   un égarement manifeste

 

 

Analyse structurelle

 

Le morceau est composé de trois segments introduits par le verbe dire. Le sujet est Abraham dans les segments externes et son peuple dans le segment central. Trois parallèles constituent la structure du morceau :

 

D’abord le parallèle entre les deux expressions « vous les adorez » et « nos pères les servant ». La première précise l’objet de la question : en désignant l’adoration dont les statues font l’objet, Abraham interroge sur leur nature. La seconde constitue la réponse : c’est l’adoration elle-même qui est sa propre justification. Il n’y aura pas de réponse sur la nature des statues, c’est simplement un mimétisme : c’est l’attrait dont elles sont l’objet qui provoque l’intérêt des suivants. Première rencontre significatif de notre texte et de la théorie de René Girard sur le mimétisme et le religieux.

 

Ensuite, deux termes encadrent le morceau, dont le point commun est l’apparence : dans le premier segment les statues, (tamathil, sur la même racine que mithal, exemple, ces statues sont des objets « à l’exemple de ») sont des objets dont l’importance est la ressemblance. Dans le dernier segment ‘mubyn’ signifie manifeste / clair /. La caractéristique de ce doute est d’être visible, apparent ; il n’a pas besoin d’être deviné. Ainsi pour Abraham, ces statues sont la manifestation de l’égarement de son peuple ; elles sont le phénomène qui le rend visible.

 

Enfin le peuple est défini par un assemblage de deux termes, dont « père » fait partie à chaque fois. « Son père et son peuple » dans le premier segment devient « vous et vos pères » dans le dernier, marquant la séparation progressive d’Abraham. La place de « nos pères » au centre lui donne une place importante comme élément de réponse à la question d’Abraham : « nos pères » apparait comme le fondement de la société, à la fois l’origine et la raison de sa pratique. En formulant « vous et vos pères » Abraham marque dans le dernier segment un rejet définitif du fondement de la société « nos pères » et de son lien avec eux, il abandonne « son père et son peuple» du premier segment.

 

Interprétation

 

Quand Abraham pose sa question, celle-ci repose sur la nature des statues, la seconde proposition, subordonnée, sur leur adoration ne sert formellement qu’à les désigner. Il observe le système religieux de son peuple, et interroge sur son objet, la nature des divinités que sont les statues, désignées par un terme prosaïque, que l’on pourrait traduire par reproductions, imitations. La question posée par Abraham suppose les statues comme origine de leur adoration.

 

Son peuple répond le contraire : un système ancestral avec une origine récursive (nos pères) comme seule justification. L’on peut remonter ainsi jusqu’à la nuit des temps, on n’atteindra jamais une origine du système. La question sur la nature des divinités est totalement évacuée. Ils les ont en quelque sorte trouvé là. C’est un préexistant, dont on témoigne une certaine ignorance (la question du tabou se pose alors). On a ainsi un phénomène (l’adoration) qui se reproduit de lui-même, sans relation de causalité avec sa raison d’être (les statues), qui lui préexisterai. Or on trouvera chez René Girard, une explication de l’adoration par mimétisme, qui frappera d’autant plus qu’elle colle de près à la suite des évènements.

 

La question d’Abraham révèle sa pertinence dans la réponse qui lui est faite : elle mettait en relation la divinité et son adoration. La réponse du peuple à deux composantes : une ignorance de la nature des statues et donc de l’origine de leur religion, et la pratique d’un système d’imitation : seule l’adoration dont elles sont sujet en fait des divinités. A ce moment Abraham doit choisir d’être inclus dans le système récursif « nos pères » en imitant « son père », ou pas. N’ayant pas obtenu sa réponse, il reprend les deux termes de sa question (adoration, ressemblance) dans une nouvelle formulation (égarement manifeste) qui fera office de réponse.

 

Contexte coranique

 

Abraham, qui entreprend une critique de sa propre religion, en vient à la critique de ces reproductions du monde, et ne trouve pas de réponses auprès de son peuple aux questions qu’il s’est posé à lui-même. Ces reproductions, présentées comme un préexistant, un toujours-étant, finalement n’ont rien de spécial et leur service (leur apporter de la nourriture, sacrifier des enfants, adorer, etc) n’a pas d’autre justification que de faire comme ceux d’avant. Abraham s’était éloigné des choses qui disparaissaient, ici, en qualifiant la pratique de son peuple d’égarement manifeste, il finit par s’éloigner aussi des choses qui continuent, sont installées dans la durée par une transmission traditionnelle.

 

Le second morceau

قَالُوا   أَجِئْتَنَا بِ الْحَقِّ

 أَمْ    أَنتَ      مِنَ اللَّاعِبِينَ

 

 

Ils dirent    tu viens à nous    avec la vérité

Ou bien      toi                          de ceux qui jouent

 

Au centre de la partie, nous avons une question. Le morceau est composé de deux propositions dont l’opposition est l’enjeu de la question. Est-ce qu’Abraham agit volontairement dans une démarche qui s’inscrit dans le sens, la vérité, par laquelle ( ou bien avec laquelle) il viendrait, ou bien fait-il partie de l’inutile. L’opposition se retrouve dans les prépositions ‘bi’, avec, par, opposé à min (de). Ces deux pronoms désignent deux intentions qui pourraient l’animer, être à l’origine de sa démarche : la vérité ou le jeu.

 

Le troisième morceau

قَالَ بَل   رَّبُّكُمْ     رَبُّ السَّمَاوَاتِ وَالْأَرْضِ

          الَّذِي     فَطَرَهُنَّ

 

وَ      أَنَا   عَلَى ذَلِكُم   مِّنَ الشَّاهِدِينَ

 

 

Il dit,  plutôt,     votre Seigneur Le Seigneur des cieux et de la terre

                             Celui qui             a conçu         eux

 

Et        moi,         de cela,               de ceux qui témoignent

 

La réponse d’Abraham est un morceau composé de deux segments. C’est dans un discours vers son peuple qu’Abraham introduit sa divinité, et cela lui permet de se placer par rapport à son peuple.

 

Le lien entre les deux membres du premier segment est fait par les cieux et la terre, les deux mots juxtaposés désignent la totalité de l’univers, du monde réel, qui est repris dans le deuxième membre par un pronom. Abraham part de ce monde réel pour désigner sa divinité : Celui qui a créé le monde réel. Cette précision permet de comprendre comment Abraham conçoit sa divinité : elle n’est pas issue du monde matériel, mais elle en est la cause. Elle l’a conçu et c’est à ce titre qu’elle le dirige, d’où son titre : Seigneur des cieux et de la terre. Et donc à ce titre qu’elle dirige son peuple : votre Seigneur. Abraham établit une direction, un sens : la divinité créé le monde, et l’homme dans le monde.

 

C’est à partir de ce constat, et de son énonciation, qu’Abraham se situe par rapport à son peuple : je suis quelqu’un qui témoigne, qui s’exprime sur vous, par rapport à vos actions, et témoigne vers vous d’une divinité non pas incluse dans le monde mais supérieure au monde. En posant la divinité comme l’origine des choses, Abraham rend caduque la divinisation des choses produites.

 

L’ensemble de la partie

 

إِذْ قَالَ لِأَبِيهِ وَقَوْمِهِ مَا هَذِهِ التَّمَاثِيلُ      الَّتِي أَنتُمْ لَهَا عَاكِفُونَ

 قَالُوا   وَجَدْنَا آبَاءنَا                               لَهَا عَابِدِينَ

قَالَ لَقَدْ كُنتُمْ أَنتُمْ وَآبَاؤُكُمْ                           فِي ضَلَالٍ مُّبِينٍ

      —————————————————————–

قَالُوا   أَجِئْتَنَا بِالْحَقِّ                               أَمْ أَنتَ مِنَ اللَّاعِبِينَ

————————-—————————————

قَالَ بَل رَّبُّكُمْ رَبُّ السَّمَاوَاتِ وَالْأَرْضِ         الَّذِي     فَطَرَهُنَّ

وَ   أَنَا عَلَى ذَلِكُم                             مِّنَ الشَّاهِدِينَ

 

 

Quand il dit à son père et à son peuple que sont ces STATUES,                          celles que vous adorez ?

Ils dirent       Nous avons trouvé nos pères                                                              les servant.

Il dit               Certes vous êtes, vous et vos pères dans un doute manifeste

 ————————————————————————————————

Ils dirent       tu viens à nous avec la vérité                                                              Ou bien toi DE CEUX QUI JOUENT ?

 ————————————————————————————————

Il dit, plutôt, votre Seigneur est LE SEIGNEUR DES CIEUX ET DE LA TERRE       Celui qui les a créées

et        moi de cela                                                                                                        DE CEUX QUI TEMOIGNENT

 

 

La partie est de forme ABA’. Les trois morceaux sont structurés par la répétition du verbe « dire », terme initial de chacun. La partie ressemble dans sa forme au premier morceau : deux interventions d’Abraham encadrent une de son peuple. La question cette fois est posée par le peuple, elle au centre de la partie.

 

L’opposition entre les parties externes

 

On observera tout d’abord l’opposition entre les deux morceaux externes. La composition du texte met en miroir deux interventions d’Abraham, mettant en opposition deux types de divinités : « les statues » qui ouvrent le premier morceau, et « le Seigneur » dans le dernier. Nous remarquerons la même conjonction qui définit les divinités (celles que, celui qui), qui articulent les premiers segments respectifs de chaque morceau. Répétition qui accentue le parallèle fait entre les deux et introduit ce qui définit la divinité : dans un cas c’est l’adoration du peuple qui fait le dieu, dans l’autre le dieu l’est par lui-même, parce qu’Il a créé le monde. La fin de ces morceaux est encore en opposition : la conclusion d’Abraham sur son peuple (le doute) s’oppose à ce qu’il choisit pour lui-même (le témoignage, donc la vérité). On remarquera enfin que le « sur cela » dans l’affirmation finale réponds à « qu’est-ce que cela » dans la question initiale et encadre la partie.

 

L’opposition est subtile mais très significative entre le couple « ces semblances » / « doute manifeste » qui encadre le premier morceau et le « témoignage » qui termine le dernier. Il y a tout un jeu visuel dans les mots d’Abraham qui deviennent langage à la fin. Le terme vérité au centre sert de pivot entre les deux :

      ”Ces semblances”, les statues sont des choses faîtes pour ”ressembler à” (d’où le terme tamathilan), leur artisan a mis ”en elle” un sens. Elles incarnent quelque chose, elles ont une valeur symbolique.

      ”Manifeste” renvoie expressément à cette idée, dans la direction opposée : ce qui ressort d’elles, c’est à dire ce qu’elles expriment. Abraham affirme douter de ce qu’elles expriment, pour lui ce qui est visible, c’est un doute.

      ”Vérité” vient dans la bouche de son peuple. Ce mot sort du lexique du visuel, c’est un sens qui est derrière le réel. Ce terme fait pivot entre les sens exprimés visuellement de la première partie, en particulier par son opposition directe avec le terme doute, et le sens du témoignage.

      « Témoignage » c’est ce qui ressort d’Abraham, qu’il oppose au « doute manifeste »

 

Il y a une reprise implicite des statues dans la dernière partie, dans l’opposition entre « celles que vous (les) adorez » et « Celui qui les a créés ». Si le second parle bien évidemment des cieux et de la terre, il inclut dedans les statues. Deux points en découlent directement :

      Par rapport à la question d’Abraham « que sont ces statues » il n’a pas eu de réponse sur leur nature. En particulier sur leur apparition. Qui a créé ces statues ? Y répondre créerait un paradoxe : l’homme sert comme divinité ce qu’il a lui-même créé.

      Abraham pose, sur le principe non-dit de création, une divinité supérieure aux statues : celle qui a créé les cieux et la terre, c’est-à-dire l’ensemble du réel (cf. 16. 5), dont font parties les statues, Abraham et son peuple, et le reste. Ainsi il postule un ordre des choses : celui qui créé est supérieur à ce qu’il créé, votre Seigneur est celui qui vous a créé, vous êtes maitres des choses que vous fabriqués. Implicitement : vous êtes responsables du sens que vous produisez.

 

”Votre seigneur” est mis en opposition avec ”vos pères”,  système sans origine de la première partie, Abraham propose une origine commune à toute chose. L’imitation des pères comme l’imitation des choses est remise en cause.

 

La question centrale

 

Etudions maintenant le rôle particulier jouée par la question, placée au centre de la partie. Comme dans le premier morceau, l’intervention du peuple utilise la première personne du pluriel, le « nous » qui forme le groupe. Nous avions vu qu’Abraham s’était mis en dehors par sa réponse. Ici les pronoms utilisés marquent que la séparation entre « nous » et « toi », ou plutôt la question porte sur cette séparation : « tu viens à nous » ou bien « toi » ?

 

Structurellement, « la vérité » reprend le thème du doute définit juste avant (termes médians) et le terme « de ceux qui jouent » prépare « de ceux qui témoignent » à la fin de la partie. Dans cette lecture, le peuple pose « la vérité » comme ce qui les rassemble, une solution au doute qui divise, proposé précédemment, alors que l’attitude d’Abraham le met à part et ne peut être prise au sérieux. Inversement, au niveau du sens, l’utilisation du terme « témoignage » employé par Abraham renvoi à « la vérité », et renvoi « jouer », au service des statues, comme un enfant avec ses jouets.

 

La question ainsi placée au centre s’insère dans les deux discours : 

      En tant que réponse du peuple, elle s’oppose au « doute », en remettant en cause la capacité d’Abraham à apporter « la vérité ». Pour son peuple face aux choses sérieuses (« servir »), il « joue ».

      Une fois posée la réponse dans le troisième morceau, Abraham assume son « témoignage », le terme entre en parallèle avec « vérité » et renvoie « le jeu » au « service des statues ». On obtient alors un retournement au centre.

 

La question au centre joue ici un rôle de pivot : la réponse du peuple est reprise par Abraham qui reprend à son compte l’invitation du peuple. La question de la vérité devient l’enjeu centrale de la partie :

      Abraham met en doute son peuple dans la première partie

      Son peuple s’interroge : vient-il avec la vérité (dans ce cas nous sommes dans l’erreur) ou rigole-t-il (peut-on ne pas faire attention à lui ?). Dans cette interrogation, il y a une échappatoire pour le peuple : reporter la faute sur Abraham (il n’est pas sérieux). Cet échappatoire est aussi proposé à Abraham : vas-tu t’obstiner sur la vérité ?

      Abraham reprend à son compte la proposition énoncée au centre, qui le pousse à préciser son discours.

 

L’ensemble de la partie

 

Il y a trois fils notables que l’on suit tout au long de cette partie, définissant des oppositions : l’appartenance au groupe et l’extériorité, le service du matériel ou la création du matériel, l’apparence des choses ou la vérité. L’opposition proposée entre les deux divinités est située par le texte dans le cadre de ces trois oppositions. D’un côté le peuple est définit, rassemblé, par le service d’objets visibles : de l’autre Abraham est mis à part pour le témoignage d’une divinité invisible mais créatrice de tout l’univers, dont les objets visibles.

 

Dans un texte narratif très court, l’articulation intriquée des oppositions  ses ramifications et ses enjeux. Tout l’enjeu est là : par sa structure faîte d’un jeu de miroir et d’opposition, le texte articule ses concepts sui sont présents, à fleur de texte, sans être tout à fait énoncés. D’où l’impression d’une grande richesse et de niveaux de lectures, atteignables par imprégnation, par la méditation ou par la réflexion. Par l’apposition successives de binarités, le texte construit des structures complexes. Le chemin parcouru par le lecteur dans les fractales de la structure du texte lui permet d’expérimenter progressivement des niveaux de sens.

 

Ainsi les trois morceaux articulent trois niveaux de savoir :

 

      Dans le premier, on est dans l’apparence, le symbolisme des statues. La statue n’est qu’une copie du monde, elle représente. L’homme imite la nature et imite ses ancêtres. Il ne fait que reproduire, en moins bien. Pour Abraham la statue en n’étant qu’apparence est mise en évidence de l’égarement : l’homme n’a pas à servir des choses mortes. En mélangeant divin et objet, il se met à servir des objets, montrant qu’il inverse l’ordre des choses. Il devrait utiliser les objets et être lui-même porteur du sens.

 

      Dans le second, on est dans l’interrogation entre recherche de vérité et jeux.

 

      Dans le troisième, Abraham entre dans le témoignage, la parole du témoignage remplace le symbolisme qui imite, le sens prime sur l’apparence. Le langage est porteur du sens et dépasse le symbolisme. Une divinité invisible et un monde réel priment sur l’imitation. Il y a une dichotomie entre le réel et le divin, l’univers ne peut pas être dieu de l’univers. En terme kantiens, le Coran sépare le noumène, l’inconnaissable du monde, sa création, et le phénomène, la partie observable du monde.

Contexte Coranique

 

Nous avons vu que la première réponse à la question posée sur les statues révèle l’imitation des ancêtres comme fondement de la religion. Cette reproduction de la religion est régulièrement critiquée par le Coran :

 

5,104. Et quand on leur dit : “Venez vers ce qu’Allah a fait descendre, et vers le Messager”, ils disent : “Il nous suffit de ce sur quoi nous avons trouvé nos ancêtres.” Quoi ! Même si leurs ancêtres ne savaient rien et n’étaient pas sur le bon chemin… ?

 

43,22. Mais plutôt ils dirent : “Nous avons trouvé nos ancêtres sur une religion, et nous nous guidons sur leurs traces”.

 

5,38. “Entrez dans le Feu”, dira [Allah,] “parmi les djinns et les hommes des communautés qui vous ont précédés.” Chaque fois qu’une communauté entrera, elle maudira celle qui l’aura précédée. Puis, lorsque tous s’y retrouveront, la dernière fournée dira de la première : “ô notre Seigneur ! Voilà ceux qui nous ont égarés : donne-leur donc double châtiment du feu.” Il dira : “A chacun le double, mais vous ne savez pas”.

 

A travers le thème du jour du jugement, point focal de la transcendance coranique, jour où toute chose devient claire, le texte déroule l’imitation des pères comme un système récursif. On retrouve ce jour-là le moment premier, absent de notre texte. On pourrait faire un parallèle entre 5,38 et 6,128.

 

Troisième partie

وَ                    تَاللَّهِ

           لَأَكِيدَنَّ   أَصْنَامَكُم

بَعْدَ أَن   تُوَلُّوا                      مُدْبِرِينَ

 

           فَجَعَلَهُمْ جُذَاذاً

إِلَّا                  كَبِيراً لَّهُمْ

           لَعَلَّهُمْ    إِلَيْهِ              يَرْجِعُونَ

 

 

+57a      Et                                                     par Allah      

+57b                             je vais comploter    (contre) vos idoles

=57c      Après que    vous partiez                                                          tournant votre dos

 

+58a      Alors             je vais en faire        des morceaux

+58b      sauf                                                 la plus grande d’entre elles

=58c      afin                qu’ils                         vers elle                               retournent

 

La partie est faîte d’un seul morceau composé de deux segments trimembres symétriques. Chaque segment est composé dans une forme AA’B, avec deux membres mettant en opposition Allah et les idoles, et un dernier parlant du peuple (vous, 57c ; ils 58c) et construit autour d’un verbe de mouvement. Ainsi « tournant votre dos » et « retournent » sont les termes finaux de chaque segment.

 

Dans le premier segment « Allah » est mis en opposition avec « vos idoles » marquant l’opposition désormais établie entre les deux dans l’esprit d’Abraham. Le 3e membre, complément de temps de la proposition, n’a pas de miroir dans ce segment, hormis un lien de causalité : qu’ils « partent » est nécessaire pour pouvoir « comploter », ainsi l’action se fait dans le « dos » de son peuple.

 

Le second segment est construit sur la même forme, deux segments en opposition et un complément de causalité. Les termes utilisés sont des termes concernant l’aspect matériel des statues. L’opposition se fait maintenant dans les deux premiers membres entre statues, entre les « morceaux » et « la plus grande d’entre elles ». Il y a deux sens dans l’affirmation d’Abraham, en réduisant les statues en « morceaux », il parle explicitement de les détruire, mais aussi de les ramener à leur réalité : ce sont des morceaux de bois. Comme de laisser la plus grande, c’est une action purement symbolique, il utilise le langage symbolique des statues de son peuple pour transmettre son message : ce sont de simples morceaux de bois, revenez vers la divinité. Ce que formalise le dernier membre.

 

Les deux segments sont construits sur le même modèle AA’B. Le plan d’Abraham est énoncé une première fois dans l’idée, par des mots. Il est ensuite repris dans sa réalisation en utilisant les statues pour exprimer l’idée première. C’est par le parallélisme des deux structures que le texte laisse deviner que « les morceaux » et « la plus grande » représentent les idoles et Allah. Abraham prévoit le départ de son peuple, qui se détourne après la discussion précédente, et organise son retour vers Allah. Ainsi les deux verbes de mouvements allégorisent les choix spirituels de son peuple.

 

Contexte coranique

 

Nous n’avons envoyé aucun prophète qui n’ait utilisé la langue de son peuple pour les éclairer. Après quoi, Dieu égare qui Il veut et guide qui Il veut. Il est le Tout-Puissant, le Sage.

 

Après s’être enquis des fondements de la religion de son peuple, Abraham choisit les statues comme vecteur de son message. L’utilisation de la symbolique des statues, alors que la parole ne passe pas, nous semble un bon exemple d’utilisation du langage vernaculaire proposé ci-dessus.

4. Quatrième Partie

 

4.1 Premier morceau

قَالُوا        مَن فَعَلَ هَذَا        بِآلِهَتِنَا

إِنَّهُ          لَمِنَ الظَّالِمِينَ

 

قَالُوا        سَمِعْنَا               فَتًى            

            يَذْكُرُ               هُمْ

 

يُقَالُ       لَهُ                 إِبْرَاهِيمُ

 

59a   Ils dirent              qui a fait cela                  à nos dieux

59b   Certes celui-là     des malfaisants

 

60a   ils dirent             nous avons entendu      un jeune                        

                                  médire                             d’eux

 

60b   est appelé           celui-là                            Abraham

 

Le morceau est construit en trois segments, tous introduits par une forme du verbe « parler ». Les deux premiers ont pour objet ce qui arrive à leurs divinités, maintenant appelées par leur nom fonctionnel « dieux » et plus par un terme matériel (statues, idoles, morceaux). Dans le discours du peuple, ce sont des divinités. Le troisième présente Abraham.

 

Dans le premier segment, en face de l’affirmation précise « qui a fait cela », l’utilisation du mot « malfaisant » parle d’intentionnalité et est une condamnation morale. En partant du fait constaté, ils cherchent un coupable.

 

Dans le second segment, les deux premiers membres sont symétriques et présentent les deux pendant du discours, écouter et parler. Leurs objets sont opposés, le jeune que l’on entend, les dieux dont on médit.

 

Le dernier, avec une forme passive du verbe dire, signifiant ici « appelé », désigne Abraham.

 

Les deux premiers segments sont parallèles, commençant par « ils dirent ». Ils donnent chacun un aspect de l’action d’Abraham, le premier évoque l’action physique sur les statues de la partie précédente, qu’ils découvrent à l’instant, le second rappel la critique d’Abraham sur leur adoration dans la seconde partie. Les deux actions d’Abraham avaient ciblé les aspect physique et symboliques des divinités, regroupés ici dans le terme « dieux ». Le dernier désigne Abraham comme acteur de ces deux critiques, le morceau est construit selon une forme AA’B.

 

Le morceau évolue progressivement du constat de l’acte, en passant par les on-dit, pour ensuite désigner Abraham. Celui-ci est d’abord appelé « un jeune », quand il s’agit de dire ce qui l’incrimine, puis par son nom « Abraham » pour le désigner. 

L’accusation n’est pas très bien construite. L’acte nécessite un coupable et les rumeurs vont permettre de le désigner. Cependant la chose est claire et elle tombe sur la bonne personne. Il y a un caractère accusateur, mis en place par les connotations négatives des termes utilisés : malfaisant, jeune, médisance. Abraham est un jeune qui réfléchit sur les pratiques de son peuple et les siennes et intervient pour faire réfléchir sur le but et l’origine de la tradition. Le vocabulaire utilisé ici présente un peuple qui réagit à la pensée critique par l’accusation et le dénigrement.

 

4.2 Second morceau

    قَالُوا        فَأْتُوا بِهِ         عَلَىٰ أَعْيُنِ النَّاسِ

                لَعَلَّهُمْ         يَشْهَدُونَ

 

61a   Ils dirent         amenez-le                  sous les yeux des gens

61b                         Afin qu’eux               témoignent

 

Le morceau central ne contient qu’un seul segment bimembre, qui redéfinit la relation entre Abraham et son peuple. Le premier est amené « sous les yeux des gens », on l’imagine au centre ou devant la foule. Il y a un parallèle entre « sous les yeux des gens » et « témoignent », entre l’observation et le constat oral de celle-ci. Deux remarques sur ce parallèle :

      Les gens sont appelés à témoigner ici selon ce qu’ils observent lors du moment du jugement, c’est un jugement sur la personne et sur le moment de la mise en scène du jugement.

      C’est un témoignage visuel, le lien est direct ici entre l’observation et le jugement, il n’y a pas de processus critique ou pratique, qui serait équivalent par exemple à la recherche personnel entreprise par d’Abraham dans les autres récits.

 

C’est le morceau central du passage. A la fois le cœur de l’espace narratif, qui peut servir à dégager le sens de l’histoire, et un point de pivot, le tournant de l’histoire. Ici le stratagème d’Abraham amène son discours à son apogée puisqu’il est devenu le centre de l’attention et qu’il va pouvoir s’exprimer à tous de manière décisive. Le peuple de son côté, n’a pas vraiment accroché au message, et a commencé un processus d’accusation, excédé par l’attaque sur ses statues. En l’amenant au centre, « sous les yeux des gens », il entend surtout « témoigner » sur Abraham, plus que l’écouter.

 

4.3 Troisième Morceau

قَالُوا        أَأَنتَ فَعَلْتَ هَذَا       بِآلِهَتِنَا       يَا إِبْرَاهِيمُ

قَالَ        بَلْ فَعَلَهُ               كَبِيرُهُمْ     هَذَا

 

فَ         اسْأَلُو                   هُمْ    

إِن          يَنطِقُونَ

 

62   ils dirent         est-ce toi qui a fait cela        à nos dieux                                 Ô ABRAHAM

 

63a   il dit                non, plutôt a fait                  la plus grande d’entre elles        cela

63b   donc               demandez-                           leurs                    

63b si                     elles sont s’exprimant 

 

Le morceau est composé de deux segments, une question et sa réponse. Les deux premiers membres de chaque sont quasiment identiques, leur parallélisme est construit sur la répétition de « dire » et de « faire ». La question du premier segment accuse Abraham d’avoir fait « cela », le crime reproché n’est pas prononcé.

 

Abraham reprend exactement les termes de la question. Il n’y a que deux différences entre les membres. Le terme Abraham disparait et les divinités sont remplacées par « la plus grande d’entre elles ». C’est celle-ci qui prend sa place en tant que sujet de « faire », ainsi Abraham et les statues sont évacuées au profit d’un Dieu unique.

 

Les deux derniers membres de la réponse mettent en miroir deux actions symétriques : poser des questions vers les statues et qu’elles y répondent. Les deux membres externes sont aussi symétriques : si les statues parlent elles peuvent aussi se disputer entre elles. Le raisonnement déployé par Abraham semble être le suivant : puisque le peuple leur parle, c’est qu’elles doivent certainement répondre, si elles répondent, c’est qu’elles peuvent interagir entre elles. Ainsi pour casser l’alibi d’Abraham, il faudrait rappeler l’évidence que les statues sont inutiles et montrer qu’il a raison à leur sujet, et que son crime n’en est pas un, mais qu’il a prouvé à son peuple leur inutilité.

 

Abraham exprime Allah dans le langage religieux et symbolique de son peuple, cette fois de manière explicite. Allah devient ainsi « la plus grande des statues », qui a réduit les autres à n’être que des morceaux de bois. Le divin passe de l’objet réel à une divinité transcendante, extérieure au monde. En prenant également la place d’Abraham, qui inscrit ce discours dans le réel, cette transcendance est le noumène de l’action, dont Abraham est le phénomène. Si le sacrifice du mouton marque dans la tradition monothéiste la fin des sacrifices d’enfants, dans ce morceau, le Coran raconte, toujours par le biais d’Abraham, la fin des divinités matérielles. On trouve là une critique du polythéisme qui le résume à un simple fétichisme. Abraham est à chaque fois le représentant du passage des religions païennes au monothéisme. En reprenant son histoire, le Coran donne un cadre historique et religieux au discours prophétique de Muhammad face au peuple mecquois.

 

Ensemble de la partie

 

 

قَالُوا مَن فَعَلَ هَذَا بِآلِهَتِنَا            إِنَّهُ لَمِنَ الظَّالِمِينَ

قَالُوا سَمِعْنَا فَتًى                      يَذْكُرُهُمْ

يُقَالُ لَهُ                             إِبْرَاهِيمُ

    ———————————————————–

قَالُوا فَأْتُوا بِهِ عَلَىٰ أَعْيُنِ النَّاسِ       لَعَلَّهُمْ يَشْهَدُونَ

    ———————————————————–

قَالُوا أَأَنتَ فَعَلْتَ هَذَا بِآلِهَتِنَا        يَا إِبْرَاهِيمُ

قَالَ بَلْ فَعَلَهُ كَبِيرُهُمْ هَذَا           فَاسْأَلُوهُمْ       إِن يَنطِقُونَ

59a   Ils dirent qui a fait cela à nos dieux,                                 Certes celui-là des malfaisants

60a   ils dirent nous avons entendu un jeune                           médire d’eux

60b   est appelé celui-là                                                             ABRAHAM

         ————————————————————————————————————————-

         61a   ils dirent amenez-le sous les yeux des gens                afin qu’eux témoignent

      ———————————————————————————

62   ils dirent est-ce toi qui a fait cela à nos dieux                  Ô ABRAHAM

63a   il dit non, plutôt a fait cela la plus grande d’entre elles    donc demandezleurs si elles s’expriment 

 

La partie est construite de trois morceaux concentriques. C’est un seul long débat et tous les segments commencent par le verbe dire qui structure les interventions. Les verbes concernant des moyens d’expression sont repris tout au long de la partie. «Nos dieux » sont placés en terme initiaux des morceaux externes, tandis qu’Abraham, terme médian entre les morceaux externes, encadre le morceau central. L’opposition entre « Nos dieux » et « La plus grande d’entre elles » encadre la partie.

 

Les deux morceaux externes tournent autour de la question « qui a fait cela », qui revient en tout trois fois. Ces morceaux opposent un dialogue interne qui charge et accuse Abraham, et le dialogue avec celui-ci, et l’aboutissement de son stratagème qui les pousse à reconnaitre soit la grandeur d’un Dieu unique, soit l’inutilité des morceaux de bois. Nous remarquons aussi deux jeux de verbes d’élocutions symétrique, portant sur le récepteur puis l’émetteur du discours : « entendre un jeune médire » opposé à « demandez-leur si elles s’expriment ». Ainsi sont mis en opposition deux autres discours, à destination du peuple, celui d’Abraham et celui des statues. 

 

Ce sont les gens qui sont appelés à s’exprimer, pas les statues.

 

Ce passage reprend un autre thème de la pensée Girardienne : la recherche d’un coupable et l’accusation de celui-ci par la foule. Abraham est ici amené à subir la vindicte la populaire, suite au trouble qu’il a créé. Le centre du passage marque le point culminant de ce processus : « amenez-le sous les yeux des gens ».

 

Les meneurs

 

Dans le texte on voit deux groupes se détacher parmi le peuple d’Abraham. Ils se parlent l’un à l’autre, et l’un semble commander à l’autre, le diriger. Qui sont-ils, comment comprendre ? Cette distinction entre deux groupes, qui n’est que sensible dans le passage que nous étudions, se retrouve décrite à d’autres endroits dans le Coran et dans la Bible.

 

Contexte coranique

 

 Ainsi, dans la sourate 43 se sont toujours les notables qui incitent à tuer les messagers. Au début de la sourate, un passage insiste sur cet aspect : 

 

23. Et c’est ainsi que Nous n’avons pas envoyé avant toi d’avertisseur en une cité sans que ses gens aisés n’aient dit : “Nous avons trouvé nos ancêtres sur une religion et nous suivons leurs traces”.

24. Il dit : “Même si je viens à vous avec une meilleure direction que celle sur laquelle vous avez trouvé vous ancêtres ? ” Ils dirent : “Nous ne croyons pas au message avec lequel vous avez été envoyés”.

25. Nous Nous vengeâmes d’eux. Regarde ce qu’il est devenu de ceux qui criaient au mensonge.

26. Et lorsqu’Abraham dit à son père et à son peuple : “Je désavoue totalement ce que vous adorez,

27. à l’exception de Celui qui m’a créé, car c’est Lui en vérité qui me guidera”.

28. Et il en fit une parole qui devait se perpétuer parmi sa descendance. Peut-être reviendront-ils ?

29. Mais à ces gens ainsi à leurs ancêtres, J’ai accordé la jouissance jusqu’à ce que leur vinrent la Vérité (le Coran) et un Messager explicite.

30. Et quand la Vérité leur vint, ils dirent : “C’est de la magie et nous n’y croyons pas”.

31. Et ils dirent : “Pourquoi n’a-t-on pas fait descendre ce Coran sur un haut personnage de l’une des deux cités ? ” (la Mecque et Taef) .

32. Est-ce eux qui distribuent la miséricorde de ton Seigneur ? C’est Nous qui avons réparti entre eux leur subsistance dans la vie présente et qui les avons élevés en grades les uns sur les autres, afin que les uns prennent les autres à leur service. La miséricorde de ton Seigneur vaut mieux, cependant, que ce qu’ils amassent.

33. Si les hommes ne devaient pas constituer une seule communauté (mécréante), Nous aurions certes pourvu les maisons de ceux qui ne croient pas au Tout Miséricordieux, de toits d’argent avec des escaliers pour y monter ;

34. (Nous aurions pourvu) leurs maisons de portes et de divans où ils s’accouderaient,

35. ainsi que des ornements. Et tout cela ne serait que jouissance temporaire de la vie d’ici-bas, alors que l’au-delà, auprès de ton Seigneur, est pour les pieux.

 

On peut lire dans la sourate 34, versets 31-34

 

31. Et si tu pouvais voir les injustes seront debout devant leur Seigneur, se renvoyant la parole les uns aux autres ! Ceux que l’on considérait comme faibles diront à ceux qui s’enorgueillissaient : "Sans vous, nous aurions certes été croyants".

32. Ceux qui s’enorgueillissaient diront à ceux qu’ils considéraient comme faibles : "Est-ce nous qui vous avons repoussés de la bonne direction après qu’elle vous fut venue? Mais vous étiez plutôt des criminels".

33. Et ceux que l’on considérait comme faibles diront à ceux qui s’enorgueillissaient : "C’était votre stratagème, plutôt, nuit et jours, de nous commander de ne pas croire en Allah et de Lui donner des égaux". Et ils cacheront leur regret quand ils verront le châtiment. Nous placerons des carcans aux cous de ceux qui ont mécru : les rétribuerait-on autrement que selon ce qu’ils œuvraient ?"

34. Et Nous n’avons envoyé aucun avertisseur dans une cité sans que ses gens aisés n’aient dit : "Nous ne croyons pas au message avec lequel vous êtes envoyés".

 

Dans le premier morceau, nous avons vu la distinction entre le peuple et les pères, ici entre ceux qui ordonnent au peuple et les suiveurs. Allah les ramènent tous vers un même résultat, ne faisant d’eux finalement qu’un seul groupe. ”C’est vers Lui que vous retournerez tous” (C 10,4 ; 43,14). Derrière la menace, se trouve mis en valeur le choix d’Abraham contre tous. C’est clairement un appel à la responsabilité personnelle. Donc à la liberté.

Nous verrons dans la partie suivante à quoi correspond ”stratagème” et ce qu’ils œuvraient. Ainsi nous avons deux passages se complétant, permettant de comprendre l’un et l’autre. Derrière l’apparente disparité du Coran, apparaît une intertextualité très riche.

 

Contexte biblique

 

Le Psaume 74 décline également ce thème de la réussite des mauvais :

 

1 Psaume d’Asaph. Oui, Dieu est bon pour Israël, pour ceux qui ont le cœur pur.
2 Pour moi, le pied m’a presque manqué, et peu s’en est fallu que mes pas n’aient glissé ;
3 Car j’ai porté envie aux insensés, voyant la prospérité des méchants.
4 Car ils ne sont point liés jusqu’à leur mort, et leur force est en son entier.
5 Quand les mortels sont en peine, ils n’y sont point ; ils ne sont point frappés avec les humains.
6 C’est pourquoi l’orgueil les entoure comme un collier, la violence les couvre comme un vêtement.
7 Leurs yeux sont enflés à force d’embonpoint ; les désirs de leur cœur se font jour.
8 Ils sont moqueurs et parlent méchamment d’opprimer ; ils parlent avec hauteur.
9 Ils portent leur bouche jusqu’au ciel, et leur langue parcourt la terre.
10 Aussi son peuple en revient à ceci, quand on leur fait boire les eaux amères en abondance,
11 Et ils disent : Comment Dieu connaîtrait-il ? Et comment y aurait-il de la connaissance chez le Très-Haut ?
12 Voici, ceux-là sont des méchants, et, toujours heureux, ils amassent des richesses.
13 Certainement c’est en vain que j’ai purifié mon cœur, et que j’ai lavé mes mains dans l’innocence.
14 Car je suis frappé tous les jours, et mon châtiment revient chaque matin.
15 Si j’ai dit : Je parlerai ainsi ; voici, j’étais infidèle à la race de tes enfants.
16 J’ai donc réfléchi pour comprendre ces choses, et cela m’a semblé fort difficile ;
17 Jusqu’à ce qu’entré dans les sanctuaires de Dieu, j’aie pris garde à la fin de ces gens-là.
18 Car tu les mets en des lieux glissants ; tu les fais tomber dans des précipices.
19 Comme ils sont détruits en un moment ! Enlevés et consumés par une destruction soudaine !
20 Tel un songe quand on s’éveille, ainsi, Seigneur, à ton réveil tu mets en mépris leur vaine apparence.
21 Quand mon cœur s’aigrissait ainsi, et que je me tourmentais en moi-même,
22 Alors j’étais abruti et sans connaissance ; j’étais devant toi comme les bêtes.
23 Mais moi, je serai toujours avec toi ; tu m’as pris par la main droite.
24 Tu me conduiras par ton conseil, puis tu me recevras dans la gloire.
25 Quel autre que toi ai-je au ciel ? Je ne prends plaisir sur la terre qu’en toi.
26 Ma chair et mon cœur défaillaient ; mais Dieu est le rocher de mon cœur et mon partage à toujours.
27 Car voici : ceux qui s’éloignent de toi périront. Tu retranches tous ceux qui se détournent de toi.
28 Mais pour moi, m’approcher de Dieu, c’est mon bien ; j’ai placé mon refuge dans le Seigneur, l’Éternel, afin de raconter toutes tes œuvres.

 

Nous avons également dans Actes 19 une situation similaire, où une raison financière les notables s’en prennent à Paul pour défendre leurs idoles. Jacques 5, met en garde les riches contre leurs richesses car ils ont privé le travailleur de son salaire et tué le juste.

Cinquième partie

          

فَ              رَجَعُوا              إِلَى أَنفُسِهِمْ

فَ              قَالُوا                 إِنَّكُمْ أَنتُمُ           الظَّالِمُونَ

 

ثُمَّ              نُكِسُوا              عَلَى رُؤُوسِهِمْ

لَقَدْ            عَلِمْتَ              مَا هَؤُلَاء          يَنطِقُونَ

 

=Alors       ils retournèrent      vers leurs âmes

::Alors           ils dirent :                 Ainsi vous êtes  injustes

 

=puis        ils furent tournés   sur leurs têtes

::certes          tu savais que           celles-ci               ne s’expriment pas

Le morceau est composé de deux segments bimembres symétriques. Les verbes « retournèrent » et « fûrent tournés » servent de terme initial commun à chaque segment. Le second segment est toujours un discours. Chaque segment raconte une volte face et son expression orale.

 

Dans le premier segment, « retourner vers son âme » indique une prise de conscience, conséquente à l’affirmation d’Abraham qui précède. Le second membre précise les termes de cette prise de conscience, affirmés entre les membres du groupe formé.

 

Dans le second segment, la volteface semble subie, comme l’indique la forme passive. « Tourné sur sa tête » dans le premier membre, va avec l’affirmation vers Abraham de la compréhension de son piège dans le second membre.

 

La similarité de la forme des deux segments met en valeur les deux étapes successives de la réception de la mise en scène d’Abraham. La première montre une compréhension interne du message transmis par Abraham, marquée par le terme « âme » qui accompagne l’expression d’une prise de conscience « vous êtes les malfaisants ». Dans un second mouvement, en sens inverse, « Tourné sur leur tête » montre le passage vers l’extérieur et le retour vers Abraham. La prise de conscience donne lieu à la compréhension du moyen utilisé par Abraham pour la provoquée. Critiquer celle-ci leur permet d’annuler celle-là, comme le montre la succession des retournements. Le message lui-même bien reçu, il est instinctivement (d’où la forme passive) rejeté par le biais de la critique du messager.

 

La structure du morceau décrit l’aspect intérieur et extérieur du mécanisme d’un thème récurrent du Coran : le rejet du messager, le plus souvent appliqué directement ou indirectement au rejet de Muhammad par le peuple Mecquois. Le point ici est que le message est rejeté après avoir été compris, et que le rejet du messager est la conséquence de ce rejet. C’est donc un choix de recouvrir la vérité de la prise de conscience plutôt que d’avancer à partir de celle-ci. Le peuple ne semble comprendre de la démarche qu’une accusation « Ainsi c’est vous les malfaisants », peut-être un peu excessive, mais qui explique le point pivot entre la foi et son rejet : l’acceptation d’une critique extérieure.

6. Sixième partie

 

6.1 Premier morceau

 

قَالَ   أَفَ       تَعْبُدُونَ         مِن دُونِ        اللَّهِ

                                   مَا لَا يَنفَعُكُمْ   شَيْئاً

وَ                                  لَا يَضُرُّكُمْ

 

       أُفٍّ       لَّكُمْ  

وَ                لِمَا تَعْبُدُونَ     مِن دُونِ اللَّهِ

 

        أَفَ       لَا تَعْقِلُونَ

 

 

 

il dit   fi                    vous adorez                en dehors d’Allah

           ce qui           ne vous sert                en rien

et                              ne vous nuit pas                        

 

           fi                    de vous

et       de ce que    vous adorez                en dehors d’Allah

 

           fi                    vous ne raisonnez pas

 

Le morceau est composé de 3 segments, marqués par la récurrence de « af » dans deux formes différentes : grammaticalement il s’agit … Cependant il semble possible d’y voir trois fois « fi », qui marque le rejet. Les trois segments sont de taille de plus en plus réduite, celle-ci passe de 3 à 1 seul membre.

 

Le premier segment est composé de trois membres. Le premier reprend l’adoration des statues, cette fois ci décrite comme « en dehors d’Allah », on ne parle plus du monde réel pris comme divinité, mais de la divinité prise en dehors de La divinité. Les deux derniers membres sont construits sur l’apposition de deux négations, « ne sert pas » / « ne nuit pas », qui, misent ensemble, forment un tout et déterminent ces divinités par leur inutilité. Ces deux membres, comme le complément du premier membre suivent tous les trois le verbe adorez : un est un complément, les deux autres des subordonnées complément d’objet. La différence entre les deux derniers, le rajout de « chose » dans « ne vous sert pas à quelque chose » permet de faire le lien avec le complément du premier membre : « en dehors de » / « ne sert pas ». Ce lien énonce implicitement le corollaire : seul Allah peut quelque chose, aider ou nuire. Ce segment à lui seul rassemble le thème de la seconde partie puis la conclusion des 3e et 5e : la démonstration d’Abraham et l’aveu subséquent avaient amené cette conclusion.

 

De la même manière, les deux membres du second segment expriment chacun un objet du rejet d’Abraham « fi » introduits par le même « lam » le peuple, « vous », et les statues, « ce que vous adorez ».

 

Le dernier est un simple membre qui conclue le morceau. Vous ne raisonnez pas.

 

Pris ensembles ces trois segments énoncent le constat d’Abraham sur les évènements précédents et ses conclusions quant à la pratique de son peuple. Le constat d’une pratique (l’adoration des statues) rendue caduque par l’inutilité des divinités dans le premier produit le jugement d’Abraham sur l’aspect théorique dans le dernier : vous ne raisonnez pas. Le lien entre ces deux constats est fait par la reprise de formes verbales négatives. Ce lien laisse deviner que le troisième est la conclusion du premier, donc de l’histoire entière. La nuance avec le morceau central est marquée par la forme différente prise par les deux lettres « af » : support interrogatif de la négation du verbe dans les segments externes, marqueur du rejet dans le segment central. Le segment central est différencié par cette forme, il marque la conséquence de l’ensemble : le rejet. Il marque un renversement au centre : le premier segment est repris dans son second membre, le dernier annoncé dans le premier.

 

6.2 Second morceau

 

      قَالُوا    حَرِّقُو           هُ

وَ              انصُرُوا         آلِهَتَكُمْ

إِن   كُنتُمْ     فَاعِلِينَ

 

           ils dirent           brûlez-         le

et                                    secourez     vos divinités

si        vous êtes          faisant

 

Nous trouvons dans ce morceau un seul segment trimembre, introduit comme les autres morceaux de la partie par le verbe « ils dirent », qui introduit le discours, ici du peuple.

 

Les deux premiers membres sont de la même forme verbe / objet et sont simplement liés par la conjonction « et ».  Suggestion par parataxe de l’égalité des deux propositions : bruler Abraham c’est sauver / aider / rendre victorieuse les divinités. En effet, aider les divinités répond à 2 évènements précédents, présentés en parallèle dans les 3e et 5e parties : répondre à la destruction physique des statues par Abraham, et répondre à la destruction du sens des divinités par sa question, reconnue par son peuple dans la 5e partie. D’où l’opposition présentée ici entre les divinités et Abraham, les deux ne peuvent être vrais conjointement. La suite logique du retour sur leur tête de la 5e partie, qui rejetait la compréhension en reportant la faute sur Abraham, est maintenant de se débarrasser de lui. On notera le rapport entre la victoire des divinités et le feu.

 

Le 3e membre est une expression qui revient 3 autres fois dans le Coran. Ce sont toujours dans des discours, et le sens est de proposer une action de substitution, ainsi Lot présente ses filles à la place des étrangers sous son toit (15,71), le frère de Joseph propose de le descendre dans un puit plutôt que de le tuer (12,10), ou au début de notre sourate dans un contexte semblable, Allah aurait créé autre chose plutôt que le monde – si (law) il avait voulu un divertissement plutôt que le triomphe de la Vérité -. Ici il s’agit très certainement de tuer Abraham plutôt que de perdre les divinités, si vous devez faire quelque chose. Autrement dit, puisque nous devons agir dans un sens ou dans l’autre, nous devons agir dans ce sens-là. Cette proposition vient tout à fait à l’opposé des 3 autres occurrences, dans lesquelles il s’agissait dans les faits d’éviter le meurtre d’un prophète (Joseph) ou des anges envoyés à Lot. Elle s’oppose aussi à l’intention donnée au début de la sourate, dans le cadre général de l’action prophétique, dont la finalité est de faire surgir la vérité pour qu’elle fasse disparaitre le mensonge. Ici il s’agit de l’exact opposé : faire disparaitre Abraham (et la vérité) plutôt que de laisser le doute qu’il incarne désormais sur les divinités.

 

قَالَ هَٰؤُلَاءِ بَنَاتِي إِنْ كُنْتُمْ فَاعِلِينَ {71}15 Lot

قَالَ قَائِلٌ مِنْهُمْ لَا تَقْتُلُوا يُوسُفَ وَأَلْقُوهُ فِي غَيَابَتِ الْجُبِّ يَلْتَقِطْهُ بَعْضُ السَّيَّارَةِ إِنْ كُنْتُمْ فَاعِلِينَ {10}12 Joseph

لَوْ أَرَدْنَا أَنْ نَتَّخِذَ لَهْوًا لَاتَّخَذْنَاهُ مِنْ لَدُنَّا إِنْ كُنَّا فَاعِلِينَ {17}21 Les prophètes

 

Ainsi les deux situations précédentes trouvent ici leur solution pratique. Quand Abraham remet en cause la divinité des statues, il remet en cause la signification ce que le peuple a attribué à ces statues et qui justifie de les servir. Il révèle alors un certain inconscient collectif que le peuple défend dans la 5e partie en rejetant la logique d’Abraham. Le peuple n’est pas prêt à laisser la démarche logique d’Abraham révéler l’impensé et l’inconscient de sa pratique. Il n’est pas prêt à passer du figuratif au langage. Défendre leurs divinités, c’est défendre les statues et tout ce qui a été ajouté comme valeur significative sur les objets-statues. Défendre leur inconscient dans sa matérialité suppose détruire la critique dans sa matérialité, c’est-à-dire détruire Abraham par le feu pour qu’il n’en reste rien. Le feu aurait donc pour leur inconscient un pouvoir salvateur. D’où le parallèle entre « bruler » et « secourir », qui intervient dans l’opposition entre Abraham et les divinités. Cependant en sauvant eux-mêmes les statues, ils abondent dans le sens d’Abraham : les statues ne peuvent rien.

 

Il s’agit ici de recouvrir la vérité, l’enfouissement de l’aspect injuste de leurs actions, de leur égarement, après sa reconnaissance formelle. Ce recouvrement théorique, ici idéologique même, qui reprend les sens coraniques de mensonge et de kafir, se fait dans la pratique par la violence. Nous avons ici une expression du moment de basculement des punishment stories, l’archétype des histoires prophétiques qui sous-tend celle du prophète Muhammad, quand la limite est franchie. Dans ce zoom sur cet instant particulier, c’est le dépassement matériel de la limite, le meurtre, qui prouve non seulement l’erreur dans la théorie, mais surtout sa gravité. Nous pensons en particulier au meurtre de la chamelle, qui justifie à lui seul la condamnation de la cité. Il est étonnant d’ailleurs qu’il n’y ai jamais de retour sur la fin du peuple d’Abraham.

 

Contexte coranique

 

L’on trouve une perspective en miroir de notre extrait à la fin de la sourate Al A’raf. L’affirmation que les divinités associées « ne créent rien et sont créés » rappellent le témoignage d’Abraham (56b, 58a, 63). NSR est utilisé dans le sens opposé : dans notre texte ce sont les hommes qui doivent les secourir, dans celui d’Al’raf il est dit qu’elles ne peuvent aider les hommes, affirmations complémentaires, l’invitation à leur demander des réponses rappelle la question d’Abraham. Last but not least, « faites-les répondre, si vous êtes véridiques » propose le choix exactement opposé plus haut à « brulez Abraham (…) si vous devez agir ». La présence de ce texte miroir semble valider le sens que nous avons tiré de la construction, cad du sens créé par l’apposition des trois propositions et de leur place dans le passage. Elle participe selon nous de deux caractéristiques du Coran. D’une part la répétition d’une même idée, parfois complètement développée, parfois simplement évoquée ou convoquée comme partie d’un autre ensemble. L’histoire d’Abraham dans Les Prophètes pourrait être un exemple du passage d’Al A’raf. D’autre part cette reprise de termes et d’expression fait peut-être partie d’une échelle supérieure de la construction du Coran dans son ensemble, ce que l’on pourra vérifier ou infirmer par la progression de l’étude rhétorique du livre.

 

أَيُشْرِكُونَ مَا لَا يَخْلُقُ شَيْئًا وَهُمْ يُخْلَقُونَ {191}

وَلَا يَسْتَطِيعُونَ لَهُمْ نَصْرًا وَلَا أَنْفُسَهُمْ يَنْصُرُونَ {192}

وَإِنْ تَدْعُوهُمْ إِلَى الْهُدَىٰ لَا يَتَّبِعُوكُمْ ۚ سَوَاءٌ عَلَيْكُمْ أَدَعَوْتُمُوهُمْ أَمْ أَنْتُمْ صَامِتُونَ {193}

إِنَّ الَّذِينَ تَدْعُونَ مِنْ دُونِ اللَّهِ عِبَادٌ أَمْثَالُكُمْ ۖ فَادْعُوهُمْ فَلْيَسْتَجِيبُوا لَكُمْ إِنْ كُنْتُمْ صَادِقِينَ {194}

 

6.3 Troisième morceau

   قُلْنَا      يَا نَارُ  

   كُونِي   بَرْداً

وَ        سَلَاماً عَلَى إِبْرَاهِيمَ

 

nous dîmes      ô feu            

soit                     froid

et                        salutaire      pour ABRAHAM

 

Nous avons ici encore trois propositions, et deux césures possibles qui marquent :

      Soit le feu comme l’aspect important, marqué par la particule « ya » introduisant un destinataire, et froid et salutaire comme un seul syntagme s’opposant au feu, brulant et destructeur.

      soit le feu et le froid deux facteurs contingent, qu’Allah annule pour marquer l’importance transcendante du salut pour Abraham.

 

Les deux premiers membres sont opposés par leur signification matérielle. Le froid est l’opposé de l’aspect brulant du feu. Salutaire est l’opposé de l’aspect destructeur du feu. Il y a une différence de nature ici entre les deux derniers membres. « Froid » ne représente que l’aspect matériel et circonstanciel, l’annulation du bûcher prévu pour Abraham. Salâman donne une perspective plus allégorique. Dans le Coran, Salâm est la promesse faîte à Abraham, le chemin de l’homme l’Islam et le salut, parole paradisiaque. On peut voir ici pointer une opposition entre le feu et l’absence de froid de la géhenne à la paix paradisiaque. Ainsi l’intervention divine fait du bûcher dont il est victime la marque du salut pour Abraham.

 

Le Coran présente l’action divine comme conclusion d’une histoire a posteriori de sa conclusion humaine. Le Nous divin n’intervient ici qu’après le débat et sa conclusion. Comme dans les punishment stories, ce n’est qu’après la violence humaine actée qu’Allah intervient. Comme nous l’avons déjà remarqué, il n’intervient pas pour détruire le peuple mais pour sauver Abraham. Par sa parole, qui est le moyen de son action sur le monde, Allah ordonne au feu et soumet ce dernier à Abraham, restaurant l’ordre des choses divinité/homme/choses. La promesse divine de paix donnée à Abraham prend ici forme, à la fois comme secours circonstanciel, aboutissement de la confrontation théologique par la parole divine restaurant l’ordre des choses, promesse transcendante prouvée par sa réalisation matérielle.

6.4 Ensemble de la partie

قَالَ أَفَ      تَعْبُدُونَ              مِن دُونِ اللَّهِ مَا لَا يَنفَعُكُمْ شَيْئاً وَلَا يَضُرُّكُمْ

      أُفٍّ      لَّكُمْ وَلِمَا تَعْبُدُونَ   مِن دُونِ اللَّهِ

      أَفَ      لَا تَعْقِلُونَ

   ——————————————————————–

   قَالُوا    حَرِّقُوهُ وَانصُرُوا آلِهَتَكُمْ إِن كُنتُمْ فَاعِلِينَ

   ——————————————————————–

قُلْنَا        يَا نَارُ كُونِي بَرْداً وَسَلَاماً عَلَى إِبْرَاهِيمَ

 

Il dit fi   vous adorez                                            en dehors d’Allah ce qui ne vous sert en rien et ne vous nuit pas

           Fi  de vous et de ce que vous adorez   en dehors d’Allah

           Fi vous ne raisonnez pas

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Ils dirent           brûlez-le et secourez vos divinités                              si vous devez faire quelque chose

——————————————————————————————-

Nous dîmes     ô feu soit froid et salutaire                     pour Abraham

La partie est composée de trois morceaux, dans une forme AA’B. Les trois sont introduits par le verbe dire, terme initial. 

 

Les deux premiers morceaux opposent les conclusions réciproques d’Abraham et de son peuple. Elles portent sur l’utilité des divinités, l’affirmation d’Abraham qu’elles ne servent ni ne nuisent est confirmée par sa reprise dans le second morceau, c’est le peuple qui se propose de les aider et de nuire à Abraham. De même à la question d’Abraham, dont le peuple est sujet de deux verbes : « choisissez-vous d’adorer et de ne pas raisonner ? », nous avons vu que sa volonté « d’agir » répondait positivement à cette question, en opposition à l’autre choix qui était de prendre conscience. Si « agir », qui maque ce choix termine le morceau et est ainsi mis en parallèle avec les deux questions qui encadrent le premier morceau, ce sont ses conséquences pratiques : bruler Abraham et secourir les divinités qui répondent concrètement à adorer et ne pas raisonner. Ainsi leur choix n’est pas seulement un choix théorique, relevant de la simple croyance, mais s’inscrit dans la réalité et se traduit par le meurtre du prophète.

 

Le dernier morceau reprend en un seul membre les termes du débat. L’aspect nuisible des parties précédentes, incarné – probablement avec les divinités – par le feu, est réduit à son matériel et annulé au profit d’un secours immédiat et transcendant, le salut de la promesse divine.

 

Les deux morceaux externes se font face par la réalisation de la promesse divine, qui confirme l’inutilité des divinités posée par Abraham, la nocivité morale et pratique de leur religion étant mis en valeur au centre.

 

Contexte coranique

 

Le feu

 

Le feu est utilisé dans différents contexte dans le Coran. Celui du buisson, celui sous la marmite qui fait ressortir les impuretés, celui de l’enfer et celui du bûcher. La sourate 85 fait le lien entre le bûcher que ”les gens de la fosse” ont allumé pour les croyants, et celui de l’enfer dans lequel ils brûleront.

 

85.3. Par les témoins qui, ce jour-là, se présenteront ainsi que ceux contre qui ils témoigneront !

85.4. Maudits soient les gens de la Fosse ardente,

85.5. au feu sans cesse renouvelé,

85.6. qui s’étaient installés tout autour du bûcher,

85.7. pour jouir du spectacle des croyants suppliciés,

85.8. et auxquels pourtant ils n’avaient rien à reprocher, si ce n’est leur foi en Dieu, le Tout-Puissant, le Digne de louange,

 

Il est un autre lien qui nous intéresse, dans la troisième sourate, entre ”une offrande que le feu consume” et ”pourquoi les avez-vous tués” ?

 

3, 181. Allah a certainement entendu la parole de ceux qui ont dit : “Allah est pauvre et nous somme riches”. Nous enregistrons leur parole, ainsi que leur meurtre, sans droit, des prophètes. Et Nous leur dirons : “Goûtez au châtiment de la fournaise.

182. Cela, à cause de ce que vos mains ont accompli ! ” Car Allah ne fait point de tort aux serviteurs.

183. Ceux-là mêmes qui ont dit : “Vraiment Allah nous a enjoint de ne pas croire en un messager tant qu’Il ne nous a pas apporté une offrande que le feu consume”.

Dis : “Des messagers avant moi vous sont, certes, venus avec des preuves, et avec ce que vous avez dit. Pourquoi donc les avez-vous tués, si vous êtes véridiques” ?

184. S’ils te traitent de menteur ; des prophètes avant toi, ont certes été traités de menteurs. Ils étaient venus avec les preuves claires, les Psaumes et le Livre lumineux.

185. Toute âme goûtera la mort. Mais c’est seulement au Jour de la Résurrection que vous recevrez votre entière rétribution. Quiconque donc est écarté du Feu et introduit au Paradis, a certes réussi. Et la vie présente n’est qu’un objet de jouissance trompeuse.

 

Ce lien entre le meurtre des prophètes, et l’offrande consumée par le feu, rappelle que le sacrifice, parfois humain, est au centre des religions païennes. On lit implicitement dans leur parole, que l’offrande, donc le sacrifice, reste la partie la plus importante de leur religion. Dans le même contexte (riche, meurtre-acte, feu, prophète, parole d’Allah), c’est avant tout le sacrifice que la foule réclame. Si l’on suit leur dire, le prophète n’est accepté que s’il amène une offrande à la (sa) place, une victime de rechange.

 

Le secours d’Allah

 

Ce complot échoue, et renvoie à l’histoire du prophète Daniel, lui aussi sauvé du feu.

Nous abordons ici un des thèmes majeurs du Coran, le stratagème d’Allah : jugement contre idolâtres (les plus grands perdants) et secours des prophètes, qui parfois sont assassinés (Abel, …), parfois comme Abraham, Daniel et Jésus en réchappent. Ainsi le Coran en parlant de Muhammad :

 

8,30 le moment où les mécréants complotaient contre toi pour t’emprisonner ou t’assassiner ou te bannir. Ils complotèrent, mais Allah a fait échouer leur complot, et Allah est le meilleur en stratagèmes.

 

Allah décide de sauver Abraham du feu. Il raconte ailleurs la mort de certains prophètes, mais insiste :

 

2,154 Et ne dites pas de ceux qui sont tués dans le sentier d’Allah qu’ils sont morts. Au contraire ils sont vivants, mais vous en êtes inconscients.

 

Le rôle du messager est rarement la conversion en masse, mais plutôt un rôle d’avertisseur, puisqu’il appartient à chacun de se convertir ou pas. La logique n’est pas celle d’une victoire terrestre, mais de faire parvenir le message, afin que le jugement contre les criminels soit rendu en toute justice. Puisque la réponse à la révélation est si souvent le meurtre, il importe à Allah de protéger ses envoyés. En évoquant le sort de Ninive, la seule cité à s’être convertie après avoir reçu un envoyé, le Coran l’affirme : il est du devoir d’Allah de secourir les croyants :

 

10,98. Si seulement il y avait, à part le peuple de Jonas, une cité qui ait cru et à qui sa croyance eut ensuite profité ! Lorsqu’ils eurent cru, Nous leur enlevâmes le châtiment d’ignominie dans la vie présente et leur donnâmes jouissance pour un certain temps.

99. Si ton Seigneur l’avait voulu, tous ceux qui sont sur la terre auraient cru. Est-ce à toi de contraindre les gens à devenir croyants ?

100. Il n’appartient nullement à une âme de croire si ce n’est avec la permission d’Allah. Et Il voue au châtiment ceux qui ne raisonnent pas.

101. Dis : “Regardez ce qui est dans les cieux et sur la terre”. Mais ni les preuves ni les avertisseurs ne suffisent à des gens qui ne croient pas.

102. Est-ce qu’ils attendent autre chose que des châtiments semblables à ceux des peuples antérieurs ? Dis : “Attendez ! Moi aussi, j’attends avec vous”.

103. Ensuite, Nous délivrerons Nos messagers et les croyants. C’est ainsi qu’il Nous incombe de délivrer les croyants.

 

Le secours qu’Allah apporte à ses messagers, contre la violence de la foule, permet de mieux comprendre ce que le Coran relate de la mort de Jésus :

 

3,52. Puis, quand Jésus ressentit de l’incrédulité de leur part, il dit : “Qui sont mes alliés dans la voie d’Allah ? ” Les apôtres dirent : “Nous sommes les alliés d’Allah. Nous croyons en Allah. Et sois témoin que nous Lui sommes soumis.

53. Seigneur ! Nous avons cru à ce que Tu as fait descendre et suivi le messager. Inscris-nous donc parmi ceux qui témoignent”.

54. Et ils se mirent à comploter. Allah a fait échouer leur complot. Et c’est Allah qui sait le mieux leur machination !

55. (Rappelle-toi) quand Allah dit : "Ô Jésus, certes, Je vais mettre fin à ta vie terrestre, t’élever vers Moi, te débarrasser de ceux qui n’ont pas cru et mettre jusqu’au Jour de la Résurrection, ceux qui te suivent au-dessus de ceux qui ne croient pas. Puis, c’est vers Moi que sera votre retour, et Je jugerai, entre vous, ce sur quoi vous vous opposiez.

 

4,157. et à cause leur parole : “Nous avons vraiment tué le Christ, Jésus, fils de Marie, le Messager d’Allah”… Or, ils ne l’ont ni tué ni crucifié ; mais ce n’était qu’un faux semblant ! Et ceux qui ont discuté sur son sujet sont vraiment dans l’incertitude : ils n’en ont aucune connaissance certaine, ils ne font que suivre des conjectures et ils ne l’ont certainement pas tué.

158. mais Allah l’a élevé vers Lui. Et Allah est Puissant et Sage.

 

Ainsi dans le Coran enlève à la mort de Jésus toute valeur symbolique, elle s’inscrit dans le processus de rejet des messagers, et son sort est le même que celui des autres : il est sauvé par Allah.

 

L’ensemble du passage

 

51a   Et certes nous avons donné à ABRAHAM son chemin auparavant, et nous avions de lui bonne connaissance

 

52a  Quand il dit à son père et à son peuple, que sont ces semblances, celles que vous adorez

53  Ils dirent  nous avons trouvé nos pères les servant

54  Il dit certes vous êtes, vous et vos pères dans un doute manifeste

       —————————————————————————————————

55b   Ils dirent viens-tu à nous avec la vérité, ou bien es-tu de ceux qui jouent

      —————————————————————————————————-

56a  Il dit, votre seigneur est le seigneur des cieux et de la terre, celui qui les a créées et moi de cela de ceux qui témoignent

 

57a   Et par Allah je vais comploter contre vos idoles après que vous partiez tournant votre dos

58a   Alors je vais en faire des morceaux sauf la plus grande d’entre elles afin qu’ils retournent vers elle

 

59a     Ils dirent, qui a fait cela à nos dieux ? Certes celui-là est des malfaisants

60a     ils dirent   nous avons entendu un jeune médire d’eux

60b     ils l’appellent ABRAHAM

     ———————————————————————————————

     61a   ils dirent amenez-le sous les yeux des gens afin qu’eux témoignent

   ———————————————————————————————

62      ils dirent c’est toi qui a fait cela à nos dieux Ô ABRAHAM

63a     il dit non a fait cela, la plus grande d’entre elles, demandez-leurs, si elles s’expriment

 

ils retournèrent vers leurs âmes, disant certes vous êtes injustes

puis ils fûrent tournés sur leurs têtes : certes tu savais qu’elles ne s’expriment pas

 

il dit : fi, vous adorez en dehors d’Allah ce qui ne sert vous en rien ni ne vous nuit ?

           fi de vous et de ce que vous adorez en dehors d’Allah

           fi vous ne raisonnez pas

——————————————————————————————-

ils dirent brûlez-LE et secourez vos divinités si vous devez faire quelque chose

——————————————————————————————-

nous dîmes :   ô feu soit froid et salutaire pour ABRAHAM

 

ils voulaient contre lui un complot et nous avons fait d’eux les plus grands perdants

 

 

وَلَقَدْ آتَيْنَا إِبْرَاهِيمَ رُشْدَهُ مِن قَبْلُ وَكُنَّا بِه عَالِمِينَ

 

إِذْ قَالَ لِأَبِيهِ وَقَوْمِهِ مَا هَذِهِ التَّمَاثِيلُالَّتِي أَنتُمْ لَهَا عَاكِفُونَ

 قَالُوا وَجَدْنَا آبَاءنَا لَهَا عَابِدِينَ

قَالَ لَقَدْ كُنتُمْ أَنتُمْ وَآبَاؤُكُمْ فِي ضَلَالٍ مُّبِينٍ

 —————————————————

قَالُوا أَجِئْتَنَا بِالْحَقِّ أَمْ أَنتَ مِنَ اللَّاعِبِينَ

 —————————————————

قَالَ بَل رَّبُّكُمْ رَبُّ السَّمَاوَاتِ وَالْأَرْضِ الَّذِي فَطَرَهُنَّ وَ أَنَا عَلَى ذَلِكُم مِّنَ الشَّاهِدِينَ

 

وَ تَاللَّهِ لَأَكِيدَنَّ أَصْنَامَكُم بَعْدَ أَن تُوَلُّوا مُدْبِرِينَ

 فَجَعَلَهُمْ جُذَاذاً إِلَّا كَبِيراً لَّهُمْ لَعَلَّهُمْ إِلَيْهِ يَرْجِعُونَ

 

قَالُوا مَن فَعَلَ هَذَا بِآلِهَتِنَا  إِنَّهُ لَمِنَ الظَّالِمِينَ

قَالُوا سَمِعْنَا فَتًى يَذْكُرُهُمْ

يُقَالُ لَهُ إِبْرَاهِيمُ

—————————————–

وا فَأْتُوا بِهِ عَلَى أَعْيُنِ النَّاسِ قَالُ لَعَلَّهُمْ يَشْهَدُونَ

——————————————–

قَالُوا أَأَنتَ فَعَلْتَ هَذَا بِآلِهَتِنَا يَا إِبْرَاهِيمُ

قَالَ بَلْ فَعَلَهُ كَبِيرُهُمْ هَذَا فَ اسْأَلُو هُمْ إِن يَنطِقُونَ

 

 فَ رَجَعُوا إِلَى أَنفُسِهِمْ فَ قَالُوا إِنَّكُمْ أَنتُمُ الظَّالِمُونَ

ثُمَّ نُكِسُوا عَلَى رُؤُوسِهِمْ لَقَدْ عَلِمْتَ مَا هَؤُلَاء يَنطِقُونَ

 

قَالَ أَفَ تَعْبُدُونَ مِن دُونِ اللَّهِ مَا لَا يَنفَعُكُمْ شَيْئاً وَلَا يَضُرُّكُمْ

 أُفٍّ لَّكُمْ وَ لِمَا تَعْبُدُونَ مِن دُونِ اللَّهِ

 أَفَ لَا تَعْقِلُونَ

 —————————————————

 قَالُوا حَرِّقُو هُ وَ انصُرُوا آلِهَتَكُمْ إِن كُنتُمْ فَاعِلِينَ

 —————————————————

 قُلْنَا يَا نَارُ كُونِي بَرْداً وَ سَلَاماً عَلَى إِبْرَاهِيمَ

 

وَ أَرَادُوا بِهِ كَيْداً فَ جَعَلْنَا هُمُ الْأَخْسَرِينَ

 

L’ensemble du passage. Autre possibilité, à valider par l’étude complète de la sourate

 

51a   Et certes nous avons donné à ABRAHAM son chemin auparavant, et nous avions de lui bonne connaissance

 

52a Quand il dit à son père et à son peuple, que sont ces semblances, celles que vous adorez

53 Ils dirent : nous avons trouvé nos pères les servant

54 Il dit certes vous êtes, vous et vos pères dans un doute manifeste

       —————————————————————————————————

55b   Ils dirent viens-tu à nous avec la vérité, ou bien es-tu de ceux qui jouent

      —————————————————————————————————-

56a  Il dit, votre seigneur est le seigneur des cieux et de la terre, celui qui les a créées et moi de cela de ceux qui témoignent

57a   Et par Allah je vais comploter contre vos idoles après que vous partiez tournant votre dos

58a   Alors je vais en faire des morceaux sauf la plus grande d’entre elles afin qu’ils retournent vers elle

 

59a   Ils dirent : qui a fait cela à nos dieux ? Certes celui-là est des malfaisants

60a   ils dirent : nous avons entendu un jeune médire d’eux

60b   ils l’appellent ABRAHAM

         ———————————————————————————————

         61a   ils dirent amenezle sous les yeux des gens afin qu’eux témoignent

      ———————————————————————————————

62   ils dirent c’est toi qui a fait cela à nos dieux Ô ABRAHAM

63a   il dit non a fait cela, la plus grande d’entre elles, demandez-leurs, si elles s’expriment

 

Ils retournèrent vers leurs âmes, disant certes vous êtes injustes

Puis ils furent tournés sur leurs têtes : certes tu savais qu’elles ne s’expriment pas

——————————————————————————————————

Il dit : fi, vous adorez en dehors d’Allah ce qui ne sert vous en rien ni ne vous nuit ? fi de vous et de ce que vous adorez en dehors dAllah, fi vous ne raisonnez pas ? ils dirent brûlez-LE et secourez vos divinités si vous devez faire quelque chose

Nous dîmes :  ô feu soit froid et salutaire pour ABRAHAM

 ——————————————————————————————————-

Ils voulaient contre lui un complot et nous avons fait d’eux les plus grands perdants

 

21.71. Et Nous le sauvâmes, ainsi que Lot, vers une terre que Nous avions bénie pour tout l’univers.

 

21.72. Et Nous lui donnâmes Isaac et, de surcroît Jacob, desquels Nous fîmes des gens de bien.

21.73. Nous les fîmes des dirigeants qui guidaient par Notre ordre.

 

Et Nous leur révélâmes de faire le bien, d’accomplir la prière et d’acquitter la Zakat.

Et ils étaient Nos serviteurs.

 

Le chemin

 

Dans l’introduction Allah a donné un ”chemin” à Abraham. Il est décrit ici : Abraham ”vient à son peuple avec la vérité”. Il est ensuite ”amené sous les yeux des gens” pour être accusé. Le chemin qu’Allah lui a donné est celui du témoignage.

 

A l’inverse la réaction de son peuple est de ”partir tournant le dos”. Et sa façon de ”revenir” ”vers la plus grande d’entre elles” et son messager, c’est de l’amener au centre de la foule pour l’accuser. Mais de cette manière, c’est son témoignage, et donc Allah, qui est amené au centre de l’attention générale.

Contexte Coranique

 

Ce passage renvoi directement au passage qui lui fait face dans la sourate précédente, celui du veau que le samaritain fait sortir du feu :

 

«Pourquoi, Moïse, t’es-tu hâté de t’éloigner de ton peuple
«Ils suivent mes pas, dit Moïse.

Je me suis hâté vers Toi, Seigneur,

pour que Tu sois satisfait de moi.»

Le Seigneur dit alors :

« Nous avons mis à l’épreuve ton peuple, après ton départ,

et le Samaritain les a égarés.»

Courroucé et plein d’amertume, Moïse revint vers son peuple :

«Ô mon peuple, s’écria-t-il, votre Seigneur ne vous a-t-Il pas fait une belle promesse?

 Avez-vous trouvé cette promesse trop longue à se réaliser ?

Ou avez-vous voulu que la colère de Dieu s’abatte sur vous,

pour avoir trahi votre engagement envers moi?»


«Nous n’avons pas manqué à notre engagement envers toi, répondirent-ils, de notre propre gré.

Mais on nous a fait porter des charges de bijoux     appartenant au peuple de Pharaon.

Nous les avons jetées au feu,               le Samaritain en a fait de même,

 

et il leur a fait sortir          des flammes

un veau sous forme          d’un corps mugissant.

Et aussitôt l’assistance           s’est mis à crier :

 

“Voilà votre dieu et celui de Moïse qui l’a tout simplement oublié !”

«Quoi ! Ne voyaient-ils pas que ce veau était incapable de leur répondre

et qu’il ne pouvait ni leur nuire ni leur être utile ?

Pourtant, Aaron leur avait bien dit auparavant :

«Ô mon peuple ! Ce veau n’est qu’une tentation pour vous,

car votre vrai Seigneur est le Miséricordieux.

Suivez-moi et obéissez à mes ordres !»

«Nous ne cesserons pas de l’adorer, avaient-ils répliqué,

tant que Moïse ne sera pas de retour parmi nous 

Dès son retour, Moïse s’adressa à son frère :

«Ô Aaron ! Qui t’a empêché, lorsque tu les as vus prendre le chemin de l’erreur, de me rejoindre ?

Est-ce par désobéissance à mes ordres?»

«Ô fils de ma mère, dit Aaron, ne me prends ni par la barbe ni par la tête.

J’ai simplement craint que tu ne m’accuses d’avoir jeté la discorde entre les fils d’Israël

et de n’avoir pas observé tes recommandations.»

«Et toi, Samaritain, dit Moïse, quelle raison t’a poussé à agir ainsi?»
«J’ai vu, dit-il, ce qu’ils n’ont pas vu,

J’ai alors pris une poignée de la trace de l’Envoyé

et je l’ai jetée selon ce que mon âme m’a suggéré

«Va-t’en, lui dit Moïse. Ton lot dans cette vie sera de dire à quiconque te rencontrera : “Ne me touche pas !”,

sans parler du rendez-vous qui t’est fixé pour l’autre monde et auquel rien ne pourra te soustraire.

Considère ton dieu que tu as tant adoré avec assiduité.

Nous allons le brûler en totalité et en éparpiller les cendres dans la mer.

En vérité, votre Dieu est Dieu l’Unique, en dehors de qui il n’y a point de divinité.

Il embrasse de Sa science toute chose.»

 

On retrouve ”un chemin” et des verbes de mouvement, la même thématique contre les idoles incapables, et la même stratégie contre les idoles réduites à néant. Et le feu, au centre du processus d’idolâtrie.

Mais nous verrons aussi dans notre étude sur la théorie de René Girard que ces deux passages représentent deux parties de la théorie mimétique : le meurtre de la victime et la divinisation, toute deux liées par le feu sacré "secourez vos idoles" d’une part, et auparavant "et il leur a fait sortir des flammes (…) “Voilà votre dieu".

 

Contexte biblique

 

Nous avons dans l’évangile un passage quasiment identique à celui-ci, de par sa construction, son vocabulaire, et le thème : l’accusation du messager par la foule. Ici encore, il en réchappe. C’est le passage de la femme adultère :

 

At dawn again           he shows himself      to the temple

and all the people          comes                       to him

and sitting                      he taught                  them

 

 ———————————————————————————————————————————————————————–

 

bring                         the scribes and the pareses            one women                    in adultery was surprise

and placing                                                                        her                                  in the middle

said to him                teacher                                            this women                     was surprise doing adultery

 

and                            in the law to us Moses                    taught                             to stone her

                                  you                                                   what say                   

 

all this                  they say                                                 testing him

for                        they can                                                 accuse him  

 

_________________________________________________________________________________________________________

But                       Jesus                          down stoop

                            from his finger          writing                 on earth

 

as                         they                           persist                  asking                  him

                            he                              stand                    and say                      to them

       ——————————————————————————————————————————————————–

                 the one without sin first                             to her

                                             throw                        the stone

 ——————————————————————————————————————————————————–

and again                             stooping

                                             writing                            on earth

 

them              hearing

and                 turning                                                        to their conscience

 

                       went out                                                     one by one

                       beginning                                                    from the older to the younger

 _______________________________________________________________________________________________

 

and                 stayed                       Jesus and the women                in the middle

                       stand                        Jesus

and                 no one                       was seen                   except      the women

 

said to her                                        women                            where are they

                                                         nobody                           condemn you

 

she said                                            nobody                           Lord

say Jesus                                          not me                            you I condemn

      go                                               and from now                 don’t sin again

 

 

Les similarités entre les deux textes sont extraordinaires. La première partie montre l’accusation, l’accusée est placée ”au milieu” comme Abraham était ”sous les yeux des gens”. La partie centrale montre la stratégie de Jésus, comme celle d’Abraham, elle ridiculise l’accusation et la pousse à réfléchir. La dernière partie montre les accusateurs réfléchissants, et leur complot échoué.

 

Il y a encore les deux chemins : Jésus dans celui-ci reste immobile : il ”se montre au temple”, ”s’assoit”, ”se relève”. C’est le peuple qui ”vient à lui” cette fois. Comme dans notre texte, les accusateurs (des notables encore ! Dont fait maintenant partie la prêtrise) font ”amené” la victime, puis ils ”tournent sur leur conscience”, comme auparavant ils ”retournaient vers leurs âmes”.

 

Tout ici tourne autour du débat, puisque Jésus enseigne. L’aspect visuel (les statues) a presque disparu, mais reste présent (”surprise”, personne ”n’est vu”).

 

2000 ans après Abraham, des choses ont changées, ”la loi de Moïse” a transformée la situation. Il n’y a plus de statues, les hommes ont un écrit auquel se référer. Pourtant, le processus d’accusation demeure, la foule continue à rechercher une victime. Mais la connaissance du pêché, et la responsabilité individuelle ont fait leur chemin chez les enfants d’Israël. Ils permettent à Jésus d’éviter le lynchage de la femme. Puisqu’ils ont conscience de leur propres pêchés, et ”qu’un autre ne peut pas porter leur charge” la foule ne peut plus ”tourner sur sa tête”, c’est à dire faire semblant de retrouver son innocence par un assassinat collectif.

 

Jésus n’est pas accusé directement, les notables utilisent la femme comme un piège contre lui. Il aurait pu l’accuser lui aussi, mais s’il le faisait, il cédait aux accusateurs, participait au jeu du meurtre collectif, et aurait tué la femme pour sauver sa vie. Or il vient pour guérir (l’aveugle, le lépreux, les pêcheurs). Comme tous ceux qu’il sauve, la femme le reconnaît (”Lord”). Comme à l’infirme, il lui enjoint de ne plus pêcher. ”Si vous saviez ce que signifie : Je prends plaisir à la miséricorde, et non aux sacrifices, vous n’auriez pas condamné des innocents.”

 

”Eux écoutant et se tournant vers leur conscience” est présente dans certains manuscrits, mais n’est pas gardée dans la recension de Nestlé Allant. Le passage coranique, et sa proximité importante avec ce passage nous a incité à les gardés dans cette analyse. Le Coran semble faire référence aux manuscrits de types byzantins, notamment les familles m5 et m7, privilégiées par les tenants de la "théorie majoritaire", voir Wilbur Pickering (1980/2014), Hodges & Farstad (1982/1985), and Robinson & Pierpont (2005).

 

Jésus ne déplace pas, son seul mouvement est de se relever. Il écrit sur la terre (ici ”terre” renvoit à ”pierre”, et à ”femme”, les deux mots sont presque similaire en grec et ils occupent la même place), ces trois termes correspondent dans notre texte aux statues (la pierre, la femme placée au milieu) et à la création (la terre et le ciel). Dieu est absent du texte, mais présent en arrière-plan par ses messagers (Moïse, Jésus) et parce qu’il est l’objet de la dispute dans les deux cas : entre les prêtres et l’envoyé, qui est sur la bonne voie ? Or la bonne voie est accessible à tous, elle n’a pas à faire l’objet d’une dispute. On retrouve le même problème qu’entre Abel et Caïn, c’est parce que Dieu accepte le sacrifice d’Abel qu’assassine son frère par jalousie. Et effectivement les scribes et les parisiens en arriveront à vouloir tuer Jésus, comme son peuple Abraham. La suite du passage confirme la proximité des deux textes, notamment en renvoyant à Abraham, les deux premiers vers sont une accusation redoutable, quand on lit le texte du Coran.

 

 

Ils lui répondirent : Notre père, c’est Abraham. Jésus leur dit : Si vous étiez enfants d’Abraham, vous feriez les œuvres d’Abraham.

 

Mais maintenant vous cherchez à me faire mourir, moi qui vous ai dit la vérité que j’ai entendue de Dieu. Cela, Abraham ne l’a point fait.

 

Vous faites les œuvres de votre père. Ils lui dirent : Nous ne sommes pas des enfants illégitimes ; nous avons un seul Père, Dieu.

 

Jésus leur dit : Si Dieu était votre Père, vous m’aimeriez, car c’est de Dieu que je suis sorti et que je viens ; je ne suis pas venu de moi-même, mais c’est lui qui m’a envoyé.

 

Pourquoi ne comprenez-vous pas mon langage ? Parce que vous ne pouvez écouter ma parole.

 

Vous avez pour père le diable, et vous voulez accomplir les désirs de votre père. Il a été meurtrier dès le commencement, et il ne se tient pas dans la vérité, parce qu’il n’y a pas de vérité en lui. Lorsqu’il profère le mensonge, il parle de son propre fonds ; car il est menteur et le père du mensonge.

 

Et moi, parce que je dis la vérité, vous ne me croyez pas.

 

Qui de vous me convaincra de péché ? Si je dis la vérité, pourquoi ne me croyez-vous pas ?

 

Celui qui est de Dieu, écoute les paroles de Dieu ; vous n’écoutez pas, parce que vous n’êtes pas de Dieu.

 

Là-dessus, ils prirent des pierres pour les jeter contre lui ; mais Jésus se cacha, et il sortit du temple.

 

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